Les Pérégrins est sans aucun doute un livre merveilleux dans le sens que l’on donne aux contes d’enfants. En effet, Olga Tokarczuk, romancière polonaise la plus célèbre de sa génération, emmène son lecteur dans un univers où le voyage est une pérégrination, intérieure et extérieure, à la rencontre de l’autre comme le signale le sens premier de sa signification.
« “Alors, remue-toi, balance-toi, cours, file ! Si t’oublies ça, si tu t’arrêtes, il va t’attraper avec ses grosses pattes velues et faire de toi une marionnette. Il t’empestera de son haleine qui sent la fumée, les gaz d’échappement et les décharges de la ville. Il va transformer ton âme multicolore en une petite âme toute raplapla, découpée dans du papier journal.” La clocharde du métro de Moscou qui parle ici appartient aux Bieguny (les marcheurs ou pérégrins), une secte de l’ancienne Russie, pour qui le fait de rester au même endroit rendait l’homme plus vulnérable aux attaques du Mal, tandis qu’un déplacement incessant le mettait sur la voie du Salut ».
Rester sur place signifie la stagnation, la régression. Pour grandir, il est nécessaire d’aller de l’avant, sans peur et sans reproche. Au fil des pages, il est aisé de comprendre que ce livre peut difficilement se placer dans une catégorie existante. Le lecteur visite, tout à tour, des salles d’aéroports, d’attente, des chambres d’hôtel, des musées ; il déchiffre des cartes, des graphiques dont il pourrait regretter de ne pas les lire en couleurs n’était-ce cet air vieillot qu’ils confèrent à l’ensemble. Olga Tokarczuk, offre une vision, sa vision, de la littérature dans des paragraphes troublants.
« Tous ceux qui, un jour, ont essayé d’écrire des romans savent à quel point c’est difficile ; il s’agit assurément de l’une des pires activités indépendantes. Il faut rester tout le temps replié sur soi, enfermé dans une cellule individuelle, dans une solitude complète. Cela relève d’une psychose contrôlée, d’une paranoïa et d’une obsession attelées au travail. Ainsi l’écriture ne nécessite ni plume d’oie, ni masque vénitien, comme on pourrait le croire, mais bien plutôt un tablier de boucher, des bottes en caoutchouc et un couteau à étriper ».
Née en 1962, Olga Tokarczuk a reçu le prix Niké (Goncourt polonais) pour Les Pérégrins à la fois le prix du jury et celui des lecteurs. Un voyage assuré pour le lecteur entreprenant, partant à la découverte d’un monde fabuleux, mystérieusement répertorié et cartographié par l’auteur où les passerelles abondent soutenues par d’énigmatiques réseaux de correspondances qui se révèlent à la lecture. Sans doute le meilleur livre d’Olga Tokarczuk.
Olga Tokarczuk, Les Pérégrins, Les éditions Noir sur Blanc, 2010, 381 pages, 24 €, traduit du polonais par Grażna Erhard