Un livre assurément à ne pas lire si on est dépressif, Un sac de Solène Bakowski renferme quelques trésors qui méritent d’être découverts tout autant que le contenu du sac qui reste bien dissimulé jusqu’aux dernières pages.
Anna-Marie Caravelle n’a pas de véritable enfance. Son père se suicide avant sa naissance et sa mère devient folle à lier de chagrin. Une vieille femme, Monique Bonneuil, décide de la soustraire au monde pour la garder pour elle. Sans lien avec la réalité, la petite fille atteint dix, puis douze, puis treize ans. Le manque total d’équilibre dans sa vie si frêle la fera basculer dans le sordide et le merveilleux tour à tour. La pendule qui lui sert de refuge symbolise avec son balancier, que l’on devine dans le grand coffre de bois, toute son existence.
Solène Bakowski sculpte en courtes phrases incisives, où se mêlent plusieurs registres sans se heurter, cette lancinante descente aux enfers d’Anna-Marie par paliers successifs où parfois un bref éclat de lumière surgit pour mieux plonger la protagoniste dans l’obscurité la plus totale. Folle comme sa mère, ou peur de l’être, elle n’en règle pas moins ses comptes d’une manière radicale, sans scrupules, mais avec des souvenirs de sang versé qui la hantent. L’âge ni l’amour ne la feront pas changer de tactique, portée par une haine viscérale qui obscurcit par moment son raisonnement.
Vies d’artistes parsemées de prostitution, amours inconditionnelles, déchirements, souleries, jalousies sur un fond de « Paris s’éveille » quand il ne veille pas protégeant les déambulations bitumineuses enfiévrées des personnages taillés dans le granit de l’austérité existentielle.
Un seul bémol, la typographie aux intervalles démesurés qui oblige à tourner les pages plus que nécessaire, mais il s’agit là d’un écueil vite dépassé tant l’auteur sait emporter son lecteur dans les méandres des pensées, des espoirs et des désillusions d’Anna-Marie sans lui laisser reprendre souffle.