La Séquence (ou Cantilène) de sainte Eulalie est vraisemblablement le premier texte littéraire écrit en langue française, alors nommé roman (ancêtre de l’ancien français et du français).
Cette séquence raconte le martyre de la sainte Eulalie de Mérida et se termine par une prière. Elle s’inspire d’une hymne du poète latin Prudencequ’on peut lire dans le Peristephanon. C’est un poème de 29 vers décasyllabes qui se terminent par une assonance, par exemple “inimi” et “seruir”.
Depuis la découverte du texte en 1837 par Hoffmann von Fallersleben, la Séquence a soulevé de nombreux débats, notamment sur le sens énigmatique de son quinzième vers. On s’accorde aujourd’hui à dater le codex du début du IXe siècle et à l’attribuer à un atelier lotharingien.
On le date de 880 ou 881 et il est inclus dans une compilation de discours en latinde saint Grégoire, en plus de quatre autres poèmes, trois en latin et un en langue tudesque (langue germanique), le Ludwigslied. Une telle séquence, ou poésie rythmique, était chantée lors de la liturgie grégorienne ; celle-ci l’a vraisemblablement été à l’abbaye de Saint-Amand-les-Eaux (près de Valenciennes). Avale (voir bibliographie) confirme les travaux de Bischoff qui situe la rédaction de l’œuvre dans une « region vers Liège et Aix-la-Chapelle », ce qui amène les Wallons (l’historien Léopold Genicot par exemple) à considérer que la littérature française a « poussé son premier cri en Wallonie ».
La Séquencecomporte vingt-neuf vers :
Texte en roman | Adaptation française | |
Buona pulcella fut Eulalia. | Bonne pucelle fut Eulalie. | |
Bel auret corps bellezour anima. | Beau avait le corps, belle l’âme. | |
Voldrent la ueintre li d[õ] inimi. | Voulurent la vendre les ennemis de Dieu, | |
Voldrent la faire diaule seruir. | Voulurent la faire diable servir. | |
Elle nont eskoltet les mals conselliers. | Elle, n’écoute pas les mauvais conseillers : | |
Quelle d[õ] raneiet chi maent sus en ciel. | « Qu’elle renie Dieu qui demeure au ciel ! » | |
Ne por or ned argent ne paramenz. | Ni pour or, ni argent ni parure, | |
Por manatce regiel ne preiement. | Pour menace royale ni prière : | |
Niule cose non la pouret omq[ue] pleier. | Nulle chose ne la put jamais plier | |
La polle sempre n[on] amast lo d[õ] menestier. | À ce la fille toujours n’aimât le ministère de Dieu. | |
E por[ ]o fut p[re]sentede maximiien. | Et pour cela fut présentée à Maximien, | |
Chi rex eret a cels dis soure pagiens. | Qui était en ces jours roi sur les païens. | |
Il[ ]li enortet dont lei nonq[ue] chielt. | Il l’exhorte, ce dont ne lui chaut, | |
Qued elle fuiet lo nom xp[ist]iien. | À ce qu’elle fuie le nom de chrétien. | |
Ellent adunet lo suon element | Qu’elle réunit son élément [sa force], | |
Melz sostendreiet les empedementz. | Mieux soutiendrait les chaînes | |
Quelle p[er]desse sa uirginitet. | Qu’elle perdît sa virginité. | |
Por[ ]os suret morte a grand honestet. | Pour cela fut morte en grande honnêteté. | |
Enz enl fou la getterent com arde tost. | En le feu la jetèrent, pour que brûle tôt : | |
Elle colpes n[on] auret por[ ]o nos coist. | Elle, coulpe n’avait : pour cela ne cuit pas. | |
A[ ]czo nos uoldret concreidre li rex pagiens. | Mais cela ne voulut pas croire le roi païen. | |
Ad une spede li roueret toilir lo chief. | Avec une épée il ordonna lui ôter le chef : | |
La domnizelle celle kose n[on] contredist. | La demoiselle cette chose ne contredit pas, | |
Volt lo seule lazsier si ruouet krist. | Veut le siècle laisser, si l’ordonne Christ. | |
In figure de colomb uolat a ciel. | En figure de colombe, vole au ciel. | |
Tuit oram que por[ ]nos degnet preier. | Tous implorons que pour nous daigne prier, | |
Qued auuisset de nos xr[istu]s mercit | Qu’ait de nous Christ merci | |
Post la mort & a[ ]lui nos laist uenir. | Après la mort, et qu’à lui nous laisse venir, | |
Par souue clementia. | Par sa clémence. |