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Crime à l’université
« À vingt mètres de là, sous les lampes jaunes allumées de jour comme de nuit, Alf van Duijn guettait son tas de fiches sur le tapis vert. Pas qu’elles bougeassent beaucoup depuis une heure, mais les cartes qu’il avait en éventail au creux de la paume, lui assuraient de rafler la mise totale. Il n’avait qu’un désir : que ses adversaires poussent le plus loin possible la partie. Il avait perdu jusque-là et s’était accroché croyant à la chance de se renflouer et la chance lui avait donné raison d’avoir gardé espoir. La seule chose qu’il avait à faire était de suivre et de garder une mine impassible. Nul ne devait se douter que son destin se jouait favorablement en ce moment même. Bien que tout à fait détendu quant à la conclusion du jeu, Alf savait paraître sur des charbons ardents et tromper les autres autour de la table. Les cours d’art dramatique suivis dans sa jeunesse portaient leurs fruits. Il avait bifurqué vers des études de Lettres non par manque de talent, mais plutôt par paresse. Il répugnait à apprendre tous ces textes par cœur. Les tirades qui faisaient la joie des autres étaient un supplice pour lui et il avait en horreur de se marteler les dialogues en tête. Pas sa tasse de thé.
Personne ne quittait la table. Personne ne passait. Personne ne se doutait de son jeu. Alf jubilait tout en ayant la mine de plus en plus défaite, juste un soupçon pour que les autres croient en ses cartes pourries, la fièvre du jeu l’entraînant au-delà du raisonnable. Encore un tour de table et les mises montaient. Alf se passa la main sur le front. Sûr de son coup, sûr de le coincer, Bauer doubla la mise avec une lueur de triomphe dans les prunelles. Tuinman se crut obligé de l’imiter. Briggs passa. Alf suivit. Sur la table, les fiches amoncelées équivalaient dix millions d’euros. La somme correspondait à l’hypothèque qu’il pourrait contracter sur sa maison. Les autres le savaient et le laissaient continuer, persuadés qu’il s’enferrait. Mais, il y avait là de quoi se refaire complètement pour Alf. Il sembla hésiter et doubla. Bauer tripla. Tuinman passa. Une heure s’était écoulée dans un silence, dans une tension intolérable pour tous. Alf jouait son va tout. Il en était conscient. Mais, le tas de fiches sur le tapis vert allait lui permettre d’assécher ses dettes et même plus.
Bauer, dans une tentation de l’acculer, tripla la mise. Alf suivit et demanda à voir ses cartes. Full house au roi. Alf comprenait pourquoi Bauer était allé si loin. Il était certain de gagner. Gardant le suspense le plus longtemps qu’il put, se forçant à suer, un jeu d’acteur digne des plus grands, il abattit un à un ses cinq as. Poker d’as ! Sans un mot de plus, il rafla la mise. Sans laisser voir sa joie. Sans laisser voir son triomphe. Sans laisser voir son intense satisfaction. Il se dirigea vers la caisse pour échanger et déposer ses fiches. Il savait que Bauer était solvable. »
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