Dans Nadja, nous retrouvons plusieurs aspects du récit avec, entre autres, des éléments autobiographiques, des réflexions sur la morale et la philosophie, des commentaires sociaux et des confidences très personnelles. Cependant nous pouvons l’appeler autobiographie car une grande part du récit consiste en le journal de Breton et il réfère à un moment précis de sa vie. Moment où Breton commençait à vraiment s’insérer dans la réalité historique du Surréalisme. Breton est lui-même dans Nadja. Il est un homme dont la vie se confond avec la carrière littéraire. Le fait que Nadja ait vraiment existé motive le choix de cette période plutôt qu’une autre et aussi le fait que Nadja ait été l’une des rencontres déterminantes dans sa vie. L’accumulation des notations temporelles non indispensables montre aussi le caractère autobiographique de l’œuvre en cela qu’elle en accroît la crédibilité.
Qui suis-je ?
En un sens Breton trouve une réponse à cette sempiternelle question puisqu’il découvre à la fin du livre qui il est réellement : un Surréaliste et surtout un homme pour qui l’amour fou compte plus que tout. D’un autre côté, il ne le sait toujours pas puisqu’il hésite encore, qu’il a des remords. Néanmoins, le livre se termine sur une certitude : « La beauté sera convulsive ou ne sera pas. » Alors la réponse n’existe que dans de brefs instants. « Qui suis-je ? » Question cruciale dont la réponse reste malgré tout plus ou moins énigmatique et sujette aux aléas de la vie.
L’histoire d’une quête de soi
Par sa présence, Nadja aide Breton à se découvrir. Elle a un rôle révélateur pour lui et l’expérience avec elle lui redonne le sens de la vie car à travers ou par elle, il a compris que la vie se trouvait dans cette vie-ci et non dans l’au-delà.
« Qui vive ? Est-ce vous Nadja ? Est-il vrai que l’au-delà, tout l’au-delà soit dans cette vie ? Je ne vous entends pas. Qui vive ? Est-ce moi seul ? Est-ce moi-même ? » Par sa présence, Nadja justifie aussi la quête de Breton et elle l’aide à se voir et à se situer par rapport à lui-même. Et une fois son rôle achevé d’initiatrice, de révélatrice, elle disparaît. Breton s’est développé du « Qui suis-je ? » initial au « Qui vive ? » sur lequel se termine leur aventure qui se détache de Breton malgré que la voix qui l’anime puisse encore s’élever.
Le destin de Nadja
Nadja devra être internée ayant sombré dans la folie. Breton s’interrogera car il n’avait pas vu la maladie la gagner. A partir de ce moment, il a la certitude encore plus aiguë de l’existence de limites à ne pas transgresser, d’un certain garde-fou qu’il n’est pas bon d’enjamber. D’un côté, il condamne les psychiatres et les juges, les prisons et les asiles et refuse une manière de vivre imposée par la société ; de l’autre, il condamne tout aussi durement l’homme qui supporte son asservissement. Avec Nadja, il a pu goûter à la tentation de mener une vie surréaliste, toute de risque et de disponibilité. Il a connu « le principe de subversion totale » mais, le destin de Nadja lui en fait voir les conséquences possibles.
Les « faits glissades ».
Françoise Calin décrit les « faits-glissades » comme des événements qui en amènent inéluctablement d’autres. Les faits glissades sont moins forts que les faits-précipices. Par exemple, la rencontre avec Nadja est un fait-précipice en lui-même, mais devient un fait-glissade par rapport à la rencontre avec le « tu » de la fin du livre. Un fait-glissade peut donc être un fait-précipice qui se transforme en intensité. Toutefois, il ne peut être aussi que cela. Par exemple : voir les panneaux « Bois et Charbons » sont des faits-glissades. Ce sont des signaux « des faits de valeur intrinsèque sans doute peu contrôlable qui échappent à notre compréhension et qui ont toutes les apparences d’un signal, sans qu’on puisse dire au juste quel signal ». Leur hiérarchie dépend de l’effet qu’ils produisent sur nous.
Les mots « faits-glissades » et « faits-précipices » annonçaient le danger de « couler à pic » nous dit Françoise Calin car c’est plonger dans le noir, dans l’inconnu que de partir dans cette « descente vertigineuse en nous » menant vers la « zone interdite » zone que Nadja a transgressé trop de fois pour revenir. Une chose très importante : les « faits-glissades » et les « faits-précipices » ne peuvent être provoqués. Ils surgissent du hasard objectif qui nous met en rapport avec l’inconscient.
La mémoire et le souvenir
La mémoire est ensevelie dans le gant de la main et « le Surréalisme vous introduira dans la mort qui est une société secrète. » Le gant est fourni par le Surréalisme. « M » est la lettre initiale de « mort » et de « mémoire » qui est involontaire pour Breton en cela qu’elle joue un rôle associatif. Au gré de sa fantaisie, elle conduit l’homme, son sujet. Néanmoins, avec beaucoup de discipline, il peut arriver à l’apprivoiser, mais jamais à la dompter complètement. En cela, la mémoire joue un grand rôle dans l’autobiographie de Breton puisqu’elle s’arroge le droit d’y faire des coupures, de ne pas tenir compte des transitions tout comme dans le rêve. Le souvenir, quant à lui, joue un rôle déterminant : c’est en souvenir de Nadja que Breton écrit ce récit, deux ans après leur rencontre.
« La vraie vie »
Pour Breton, la « vraie vie » est la vie surréaliste. Il ne retient que ce qui est important. C’est une manière de vivre où l’on est ouvert et réceptif au hasard objectif. La « vraie vie » suppose une disposition d’esprit permettant de s’ouvrir aux rencontres.
Les endroits surréalistes
Il y a dans Nadja plus de soixante lieux ou établissements parisiens de mentionnés. Breton ne les décrit pas souvent, il se contente uniquement de les nommer la plupart du temps. Le Marché aux Puces de la Porte Saint Ouen est un lieu « surréaliste » car, avec l’ouverture d’esprit nécessaire, on peut y découvrir des trucs ou des personnes comme la petite fille qui déclame Rimbaud ou le cendrier-cendrillon.
Le « surréel » et la « surréalité »
La Surréalité est pour ainsi dire la synthèse du réel et de l’irréel, une synthèse momentanée qui prend place lorsque les deux mondes se touchent. C’est une expérience qui surgit du contact avec la réalité. « Avoir l’aigrette aux tempes » est l’expérience physique de la surréalité pour Breton. La surréalité dépend de notre inconscient, de la compagnie dans laquelle nous nous trouvons et de ce que le hasard nous fait rencontrer de la réalité.
Breton a dit « Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l’on peut ainsi dire. »
Le surréel, en revanche, est ce qui est au-delà du réel, c’est le merveilleux qui s’oppose aux contingences du quotidien.
André Breton, Nadja, Gallimard, 1964