février 14, 2016 By mlc

« L’Ingénu » de Voltaire – 1767, pas une ride !

CrimeUnivGrand amateur du quartier rouge d’Amsterdam, Bart Verweijden, un des professeurs loufoques de Crime à l’université, prépare son cours sur L’Ingénu de Voltaire :

« Assis à la table de la cuisine, Bart Verweijden surveillait du coin de l’œil le petit déjeuner de ses deux filles, Nina et Joy. C’était sa semaine de les lever, les habiller, les nourrir et les conduire à l’école. Il avait versé les céréales et le lait dans leur bol et mangeait distraitement une tartine. Il relisait son cours sur Voltaire qu’il allait présenter aux étudiants de seconde année. Il l’avait écrit à la hâte, mais il en était satisfait.

« Cette œuvre de Voltaire évoque, outre la répression contre les Huguenots qui suivit la révocation (1685) de l’Édit de Nantes (1598), la lutte entre les jésuites et les jansénistes qui faisait fureur à l’époque et se répercutera tout au long du siècle. Un point typique, et sans doute l’un des passages clés de ce récit, est la conversion de Gordon à la philosophie par l’Ingénu “… un Huron convertissait un janséniste.” Chapitre 14. Le deuxième point névralgique se trouve certainement dans les conseils d’un jésuite. Ici le père Tout-à-tous gratifie la belle Saint-Yves de son expérience, passage dans lequel Voltaire dépeint l’hypocrisie de l’ordre jésuite et sa sympathie pour les jansénistes (chapitre 16). Dans son ensemble, L’Ingénu est représentatif du siècle des Lumières pour plusieurs raisons. »

Nina et Joy, huit et six ans, regardaient leur père plongé dans sa paperasse. C’était le moment opportun de rajouter du sucre dans leurs céréales sans se faire réprimander. Elles savaient d’expérience que plus rien ne comptait pour lui que sa lecture. Pas question de se disputer et d’attirer son attention. Elles formaient, au contraire, une équipe solide et puisaient l’une après l’autre, cuillérée après cuillérée dans le sucrier. Joy par maladresse, excusable vu son jeune âge, renversa une fournée sur la table ; Nina l’aida tout naturellement à réparer les dégâts et de concert, elles décidèrent que leur bol contenait assez de sucre. Un coup d’œil à leur père les rassura. L’incident lui avait échappé.

 « En situant l’action explicitement en l’année 1689 sous le règne de Louis XIV, Voltaire fait comprendre au lecteur de 1767, qui ne peut “ignorer que les jésuites sont expulsés de plusieurs pays d’Europe et aussi de France depuis 1764, alors que les jansénistes occupent des positions influentes dans les parlements et dans l’administration”, que les proscrits d’aujourd’hui peuvent avoir été les persécuteurs d’hier et réciproquement, donc que l’ordre et l’agencement des structures est moins immuable qu’il ne le paraît, que l’homme peut y exercer une influence certaine.

L’Ingénu, la représentation de l’homme sauvage que s’est forgée Voltaire, a, par là même, une fonction didactique, ce qui illustre l’esprit des philosophes qui se voulaient être des enseignants répandant la connaissance. Par les réflexions du héros, les mœurs de Basse-Bretagne d’abord, puis celle de la société ensuite, sont sans cesse comparées à celles de son pays d’origine, le pays des Hurons, le Canada qui serait de loin préférable dans son agencement au pays où il vient de mettre pied, la France. Un trait tout de même intéressant à ce sujet, mais dépassant le propos de notre cours et sur lequel je ne m’étendrai pas outre mesure, consiste en ce que le Huron se révèle être après quelques péripéties oratoires, non pas un sauvage, mais un Breton.

L’Ingénu, le symbole de l’innocence persécutée, représente aussi en essence les campagnes de Voltaire contre les erreurs judiciaires dont Le Traité sur la Tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas (1763) et contient les germes de toutes ses œuvres, autant passées que futures. Toutefois, nous pouvons nous demander ce que Voltaire aurait écrit de notre époque de progrès, sur la télévision qui nous abreuve sans discontinuer d’images de guerres, de foyers incendiaires de répression des minorités qui sont malheureusement la réflexion véritable de la situation de beaucoup de pays très près de nous. Là, devant nous, les Ingénus contemporains nous éclairent l’obscurité des charniers, l’horreur des camps concentrationnaires, dont nous étions à même de croire qu’ils avaient disparus à jamais. Et qui prétendra que les livres ne sont plus interdits, que la presse est libre ? Ce ne serait pas monsieur François-Marie Arouet qui lui s’est rendu plusieurs fois indésirable, mais qui jamais n’a pu être accusé de démagogie. »

Nina et Joy s’étaient levées de table et attendaient Bart tout équipées, chaussures lacées et parkas enfilées. Il les félicita et les aida à passer les bretelles de leur sacs à dos. Le trio fin prêt, enfourcha chacun sa bicyclette et s’élança sur le chemin de l’école.

Murielle Lucie Clément, Crime à l’université, Editions MLC, 2015

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février 11, 2016 By mlc

Crime à Amsterdam, sortie le 21 mars !

Crime à AmsterdamLe quartier du Transvaal à Amsterdam coule des jours heureux. Les habitants ont installé des potagers collectifs où jardiner en famille. Une rue aveugle est égayée par des vitrines ; des fêtes de voisins sont organisées régulièrement. C’est un endroit où il fait bon vivre. Jusqu’au jour où le corps dénudé d’une jeune femme est retrouvé le long du canal. Son meurtrier a tailladé ses chairs pour y imprimer des croix gammées. Les gens choqués peinent à comprendre. Quelques jours plus tard, un autre corps est découvert, lui aussi porte des croix gammées sculptées dans les chairs. Tout porte à croire aux faits d’un sérial killer. Les esprits s’échauffent et s’inquiètent. Est-il un habitant du quartier ? Les crimes sont-ils liés au passé ? Les inspecteurs Hartevelt et Krijger sauront-ils démystifier l’affaire et redonner au Transvaal sa tranquillité ?

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février 8, 2016 By mlc

Murielle Lucie Clément, Crime à l’université (extrait)

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Crime à l’université

« À vingt mètres de là, sous les lampes jaunes allumées de jour comme de nuit, Alf van Duijn guettait son tas de fiches sur le tapis vert. Pas qu’elles bougeassent beaucoup depuis une heure, mais les cartes qu’il avait en éventail au creux de la paume, lui assuraient de rafler la mise totale. Il n’avait qu’un désir : que ses adversaires poussent le plus loin possible la partie. Il avait perdu jusque-là et s’était accroché croyant à la chance de se renflouer et la chance lui avait donné raison d’avoir gardé espoir. La seule chose qu’il avait à faire était de suivre et de garder une mine impassible. Nul ne devait se douter que son destin se jouait favorablement en ce moment même. Bien que tout à fait détendu quant à la conclusion du jeu, Alf savait paraître sur des charbons ardents et tromper les autres autour de la table. Les cours d’art dramatique suivis dans sa jeunesse portaient leurs fruits. Il avait bifurqué vers des études de Lettres non par manque de talent, mais plutôt par paresse. Il répugnait à apprendre tous ces textes par cœur. Les tirades qui faisaient la joie des autres étaient un supplice pour lui et il avait en horreur de se marteler les dialogues en tête. Pas sa tasse de thé.

Personne ne quittait la table. Personne ne passait. Personne ne se doutait de son jeu. Alf jubilait tout en ayant la mine de plus en plus défaite, juste un soupçon pour que les autres croient en ses cartes pourries, la fièvre du jeu l’entraînant au-delà du raisonnable. Encore un tour de table et les mises montaient. Alf se passa la main sur le front. Sûr de son coup, sûr de le coincer, Bauer doubla la mise avec une lueur de triomphe dans les prunelles. Tuinman se crut obligé de l’imiter. Briggs passa. Alf suivit. Sur la table, les fiches amoncelées équivalaient dix millions d’euros. La somme correspondait à l’hypothèque qu’il pourrait contracter sur sa maison. Les autres le savaient et le laissaient continuer, persuadés qu’il s’enferrait. Mais, il y avait là de quoi se refaire complètement pour Alf. Il sembla hésiter et doubla. Bauer tripla. Tuinman passa. Une heure s’était écoulée dans un silence, dans une tension intolérable pour tous. Alf jouait son va tout. Il en était conscient. Mais, le tas de fiches sur le tapis vert allait lui permettre d’assécher ses dettes et même plus.

Bauer, dans une tentation de l’acculer, tripla la mise. Alf suivit et demanda à voir ses cartes. Full house au roi. Alf comprenait pourquoi Bauer était allé si loin. Il était certain de gagner. Gardant le suspense le plus longtemps qu’il put, se forçant à suer, un jeu d’acteur digne des plus grands, il abattit un à un ses cinq as. Poker d’as ! Sans un mot de plus, il rafla la mise. Sans laisser voir sa joie. Sans laisser voir son triomphe. Sans laisser voir son intense satisfaction. Il se dirigea vers la caisse pour échanger et déposer ses fiches. Il savait que Bauer était solvable. »

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février 8, 2016 By mlc

La Clarté des ténèbres, extrait 2

ClartéL’envie

Quelquefois, la vie des autres paraît plus confortable, plus aisée, plus facile à vivre, en un mot préférable. Ces êtres, dont nous envions la situation, nous semblent choyés, protégés, adulés, préférés de leur entourage. Il ne nous vient pas à l’esprit qu’ils sont le plus souvent incontestablement instrumentalisés par le même entourage du fait même de l’existence et de la présence de celui-ci. Ils font partie d’un mécanisme social auquel ils n’ont pu se soustraire, ni duquel ils ont pu être expulsés. Peut-être n’en ont-ils  probablement jamais eu conscience et par-là même n’ont-ils jamais essayé d’échapper à ces mécanismes sociaux qui les broient et se maintiennent par la grâce des héritages dits spirituels, de mères en filles, de sœurs en frères et de tantes en nièces, plus sûrement que les gènes assurant notre morphologie.

Ces êtres en vérité se laissent miner, ronger, détériorer par un amant, un mari, une mère, un père par qui ce cannibalisme immatériel est camouflé sous les traits de l’amour qu’il soit sexuel, fraternel ou filial pour ne citer que ceux-là et qui ont comme caractéristique commune le terrorisme caché par lequel ils s’implantent.

Les cannibales ainsi déguisés sous le masque d’un amant, d’un père ou d’une mère, éventuellement d’une amie chère, exercent purement et simplement  une véritable mainmise sur les affects de l’objet de leur pseudo amour totalement instrumentalisé. Cet exploit leur permet de vivre par interposition sans crainte car sans risque d’avoir à subir les avatars des êtres auxquels ils inoculent le désir de se conformer aux actions et aux décisions qu’ils leur imposent.

Cet équilibre relationnel se comprend d’autant mieux que l’on sait que ces êtres, que l’on pense entourés, s’exécutent à accomplir les demandes du cannibale pour rester dans la situation d’êtres favoris où ils se trouvent ou du moins pensent se trouver. Qui ne voudrait être le préféré ?

Néanmoins, il faut bien se rendre compte qu’en ce cas, le choyé abandonne une grande part de sa mobilité et de son autonomie, de sa liberté d’action et qu’il paie très chèrement cette vie qui nous paraît meilleure. Cet argument sur la perte de la liberté en contrepartie d’un acquis est loin d’être nouveau. La Fontaine nous en dévoile l’un des rouages dans sa fable Le Chien et le loup. Ce dernier opte pour une pitance moindre et garde de préférence sa liberté.

Nous devrons nous le rappeler lorsque nous penserons que la vie de certains est plus douce que la nôtre. Leur place ne leur est pas donnée. Voudrions-nous en payer le prix ?

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février 7, 2016 By mlc

Crime à l’université, de Murielle Lucie Clément (extrait)

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Crime à l’université

« James Rush, lui, avait peu de talent oratoire. En revanche, son ouïe était d’une sensibilité peu commune. Il a même noté la mélodie du langage. Il se plaisait au théâtre y transcrivant les drames parlés en une notation spéciale inspirée de la notation musicale. Une grande erreur des linguistes actuels est de méconnaître cette dimension de la mélodie du langage dans l’apprentissage d’une langue. Les Russes, et plus tard les Américains, en ont été très conscients. A l’institut MGU, le vivier des espions à Moscou, les agents sont soumis pendant six mois à l’écoute puis, six autres mois à la diction d’une langue étrangère sans en connaître la signification. Ce n’est que lorsqu’ils ont parfaitement maîtrisé la prononciation qu’ils commencent à travailler la signification et la grammaire. Pour te dire que les films où les mecs du KGB ont un accent épouvantable sont du flan. Un Russe sorti de cette école, est passé maître dans les registres d’une langue mieux qu’un natif ! »

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