septembre 6, 2016 By MLC

Fouad Laroui

Fouad Laroui“« Nous » et « eux » ou l’image de l’islam chez Fouad Laroui”, dans  Ecrivains Maghrebins Francophones et l’Islam : constance dans la diversité, sous la direction de Najib Redouane, Paris, L’Harmattan, 2013.

Un écrivain franco-marocain international 

Lauréat du prix Goncourt de la nouvelle pour L’étrange affaire du pantalon de Dassoukine[1], né à Oujda au Maroc oriental, Fouad Laroui étudie au lycée Lyautey de Casablanca, puis à l’École Nationale des Ponts et Chaussées en France. Après avoir obtenu un diplôme d’ingénieur, il repart dans son pays natal et dirige à Khouribga une usine de phosphate. Il passe ensuite plusieurs années à Cambridge et à York où il présente un doctorat en sciences économiques. Il quitte le Royaume-Uni pour les Pays-Bas enseigner l’économétrie et les sciences de l’environnement tout en se consacrant parallèlement à l’écriture. A l’heure actuelle, il fait partie du corps enseignant du Département de français de l’Université d’Amsterdam. De ce qui précède, nous considérons Fouad Laroui un auteur international plutôt que simplement franco-marocain, et cela d’autant plus que ses fictions se déroulent dans divers pays.

Dans cette brève étude, nous nous appliquerons à déceler l’image de l’islam chez Fouad Laroui. Dans ce dessein, après avoir tracé un court portrait de l’auteur, nous nous pencherons sur le « eux » et « nous » et quelques génocides engendrés par cette notion en nous reportant à plusieurs exactions meurtrières. Nous examinerons ensuite la notion de groupe, d’honneur et nous les analyserons ainsi que la présence de la représentation de l’islam dans les fictions.

Dans ses romans, Fouad Laroui plante des personnages loufoques et brosse des portraits comiques de la société comme dans son premier-né, Les Dents du typographe (1996)[2], où un jeune marocain refuse l’ordre établi et se détache de sa patrie ou La Femme la plus riche du Yorshire (2008)[3] qui met en scène des types britanniques et un jeune universitaire qui les étudie avec les mêmes outils d’anthropologue habituellement utilisés pour l’analyse des peuplades dites primitives. Parallèlement à l’humour, ses romans et nouvelles sont riches d’un enseignement qui lui a peut-être été personnellement offert par la vie même.

Le père de Fouad est porté disparu depuis 1969 : « Je suis la dernière personne à l’avoir vu. C’était le 17 avril 1969. Il est sorti de la maison pour aller acheter le journal, et nous ne l’avons plus revu. Je n’en ai jamais parlé à personne, puis quand j’ai commencé à écrire, certains de mes personnages disparaissaient… »[4]. Ses romans, écrits en français, connaissent un grand succès au Maroc. Conjuguant ironie et humanisme, il y dépeint les travers et la pesanteur des relations humaines dans son pays natal ou ailleurs, avec un humour léger et fort à propos. Mais, Fouad peut aussi se montrer sérieux et ses cibles restent la bêtise, la méchanceté et le fanatisme. Comme il le déclare,

J’écris pour dénoncer des situations qui me choquent. Pour dénicher la bêtise sous toutes ses formes. La méchanceté, la cruauté, le fanatisme, la sottise me révulsent. Je suis en train de compléter une trilogie. Les dents du topographe avait pour thème l’identité. De quel amour blesséparle de tolérance. Le troisième qui vient de paraître sous le titre Méfiez-vous des parachutistes, parle de l’individu. Identité, tolérance, respect de l’individu : voilà trois valeurs qui m’intéressent parce qu’elles sont malmenées ou mal comprises dans nos pays du Maghreb et peut-être aussi ailleurs en Afrique et dans les pays arabes[5].

Fouad Laroui est conscient de la disparité entre sa propre personnalité, son expérience existentielle et les membres de la société de son pays natal où il fit l’apprentissage du français depuis son plus jeune âge :

Parce que mon père le voulait ainsi, j’ai effectué toute ma scolarité au sein de la Mission Universitaire Française, ce qui explique pourquoi j’écris en français et non en arabe. Il y a par conséquent une distance, on ne peut pas le nier, entre ce qui est l’arrière-plan de mes romans et moi-même : on peut se demander si le Maroc dont je parle n’est pas une fiction[6].

Et ajoute-t-il dans le même article : « D’ailleurs, cette distance, je la revendique et l’accentue : j’introduis un peu partout de fausses références à un passé auquel rien ne me relie, comme ce philosophe nommé Hamidullah, dans Les Dents du topographe, grande figure à la Ibn Khaldoun, et qui est pur produit de mon imagination »[7]. Les véritables racines littéraires de Fouad Laroui sont peut-être inattendues pour un auteur d’origine marocaine, mais sa scolarité les explique pleinement. Sans être intentionnel, son parcours l’a délibérément porté vers les grands classiques français.

On peut déceler chez chaque auteur des influences diverses, mais il y a généralement, à la base, un Russe pour un Russe ou un Français pour un Français. Des auteurs de prédilection qui ont peut-être arpenté les mêmes rues, fréquenté le même collège, qu’on peut voir dans une hallucination comme un père naturel. En ce qui me concerne, c’est Voltaire, pour l’ironie et le sarcasme, et Diderot pour la liberté et le bonheur d’écrire, et c’est tout […][8].

Toutefois, l’immense érudition de Laroui l’a empêché de négliger les grands auteurs de la culture arabe, en témoignent son essai sur l’islam et ses nombreuses références au Coran et ses sourates, ses détracteurs et ses partisans.

« Eux » et « Nous »

Dans son essai, De l’islamisme. Une réfutation personnelle du totalitarisme religieux (2006), Fouad Laroui établit la différence entre islam et islamisme. Une différence visible dans ses romans et ses nouvelles.

L’islamisme, c’est une vision totalitariste de l’islam, puisqu’il le conçoit comme ayant réponse à tous les problèmes de la vie[9].

Selon Laroui, l’islamisme est plus que l’utilisation politique de l’islam. C’est « la dénaturation d’une foi »[10]. L’exact contraire de cette foi ne repose sur rien, dit-il. La foi est une chose personnelle, un « élan rigoureusement individuel » qui nous propulse au-delà de nous-mêmes, nous pousse à la recherche en dehors de nous-mêmes d’une entité plus grande que nous. Mais, ce sentiment ne peut se définir :

Même un juif rigoureusement athée comme Freud – c’est ainsi qu’il se définissait – mentionne quelque part ce « sentiment océanique » qui s’empare parfois de l’être humain et qui fait plus appel à la poésie qu’à la raison. Sentiment océanique : je fais partie d’un Tout qui me dépasse, que je ne peux saisir par l’exercice de ma pensée. Il me reste à fermer les yeux et à être déraisonnable[11].

Déraisonnable comme le petit Mehdi dans Une année chez les Français (2010) qui s’adonne sans retenue aucune à son amour des mots même s’il ne les comprend pas tous et que ceux-ci le propulsent dans un monde imaginaire inaccessible aux autres.

En ce qui concerne la religion, c’est ce qui définit un « nous » et un « eux » qui génère le « Nous contre eux ». Si selon Laroui, il s’agit-là du problème des décennies prochaines, nous pouvons voir que ce problème existe depuis que le monde est monde et a engendré les pires atrocités.

Toutes ces interdictions, tous ces commandements qui forment le totalitarisme de la vie quotidienne ne servent finalement qu’à définir un nous et un eux. Nous ne mangeons pas de lézard, nous ne nous rasons jamais la barbe, nos femmes sont voilées… [12].

S’il y a encore peu d’études sur les ravages générés par cette division au Maghreb, en revanche des analyses ont été conduites sur d’autres régions. Par exemple, Ben Kiernan, dans Le Génocide au Cambodge[13] a expliqué ce mécanisme d’une vie ordinaire pouvant conduire à des atrocités par le seul pouvoir du « nous » et « eux » en dépeignant dans ses détails la vie de Pol Pot qui, à l’origine, différait peu en un grand nombre de points de n’importe quelle existence de jeunes Cambodgiens partant étudier à l’étranger si ce n’est qu’il connut très peu de la vie villageoise[14].

Génocides

Il est en effet saisissant de voir qu’en moins de quatre années, un quart de la population cambodgienne fut  assassinée par l’obsession de la purification déterminée par le « nous » et « eux », la « population de base » et les « autres ». Toute transgression des lois érigées en règlement des moindres détails de la vie quotidienne pouvait entraîner la mort. On peut reprocher à Kiernan une vision naïve du marxisme-léninisme comme l’a fait Jean-Louis Margolin dans sa critique du Génocide au Cambodge[15], cependant, celle-ci n’en est pas moins claire et précise sur les raisons du génocide.

Le génocide, écrivons-nous, est la dimension première du marxisme-léninisme maoïste à la cambodgienne. 
En effet, partout ailleurs en Asie du Sud-Est, le marxisme-léninisme tenta de récupérer les aspirations nationales à l’indépendance et à la souveraineté par un amalgame nationaliste qui visait à ancrer la révolution dans le cours nécessaire et inéluctable de l’histoire des pays ; or l’idéologie forgée, dans leurs années parisiennes puis après, par Pol Pot et son groupe avait pour principe de restaurer la grandeur historique non plus d’une nation, mais d’une race – la race khmer[16].

Car il faut bien se rendre compte que la notion de « eux » et « nous » fut le déclencheur imperturbable de ce massacre presque continuel :

Cette exaltation de la race est au cœur du régime de Pol Pot, elle dicte sa politique ; elle détermine sa conquête de l’appareil du parti, dès les années 1960, par l’élimination minutieuse de toute la vieille garde communiste cambodgienne formée par le marxisme-léninisme vietnamien du temps des combats antifrançais ; elle est le moteur, à partir de l’intervention américaine, de la politique systématique de prise de contrôle dans toutes les zones, où liquidations et purges font disparaître ceux que l’on juge avoir un esprit vietnamien dans un corps khmer ; elle détermine le processus mis en place dès avant la prise de Phnom Penh d’éradication des minorités nationales non khmères : les Chams musulmans, au premier chef, mais aussi les Vietnamiens, les Chinois et, dans une moindre mesure, les Laotiens et les Thaïlandais ; elle détermine enfin la division de la race khmère entre le peuple de base – paysan, traditionnel, rural, largement illettré, celui des toutes premières zones de maquis créées dès 1970, au lendemain du coup d’État pro­américain de Lon Nol – et le peuple nouveau, celui vidé des villes, urbanisé, éduqué, intellectuel, ouvrier ou commerçant, sensible à l’influence, voire l’éducation et la culture étrangères[17].

Cette haine qui se dilapide sur une autre race, peuple, religion ou parti politique – souvent créés de toutes pièces à partir d’arguments plus ou moins fallacieux – est loin d’être l’apanage d’un peuple en particulier. En effet, l’Ancient Testament présente de nombreuses références à des peuples qui devront être ou seront éradiqués de la surface de la terre et cela toujours en référence à ce fameux « nous » et « eux ».

Quelques exactions meurtrières

Depuis des millénaires, les sociétés humaines ont perpétré des génocides et cela dans toutes les cultures ou presque. Les socio psychologues ont établi que c’étaient des hommes de pouvoir qui en étaient les auteurs. Malheureusement, comme l’a stipulé Douglas M. Kelley dans Twenty-two cells in Nuremberg (1995)[18] ces hommes ne sont pas des fous furieux ou atteints de folie inhumaine – ce que la société préfèrerait croire. Non, en règle générale et prouvée, ce sont des hommes de grande intelligence, en ont témoigné au XXe siècle les dirigeants nazis dont le QI oscillait en moyenne autour de 128.

Des analyses des notes de Kelley et Gilbert, deux psychiatres qui ont conduit, après la défaite du IIIe Reich, des entretiens avec les vingt-deux dirigeants nazis accusés de crimes contre l’humanité, ont déterminé que ces personnes étaient extrêmement bien adaptées et possédaient des personnalités très diverses. En conclusion, il n’y aurait pas de personnalité nazie typique[19].  Et les génocides des Arméniens en Turquie ou des musulmans en Ex-Yougoslavie ou encore de ceux du Rwanda, nous démontrent qu’il n’y a pas de peuple type pour les commettre.

Les expériences et les analyses conduites sur les documents relatifs à l’Holocauste et ses bourreaux devraient nous amener à mieux comprendre les mécanismes des génocides en général. Toutefois,  bien que tous les génocides perpétrés au cours des siècles soient tous très différents dans leur exécution et motifs extérieurs, ils ont tous un dénominateur communs : un groupe décide d’en exterminer un autre.

Comme le démontre James Waller dans Becoming Evil: How Ordinary People Commit Genocide and Mass Killing[20], les groupes qui veulent commettre des crimes de masses – que ceux-ci soient politiques ou sociaux, et que ce soit sur la base de différences ethniques, religieuses ou raciales –, ne sont jamais en manque d’individus pour les exécuter. Seule exigence : forger le fameux « eux et nous ».

Le groupe, l’honneur, l’islam

Le « nous » et « eux » a besoin d’un ou de plusieurs dénominateurs communs pour devenir effectif comme groupe. Selon Laroui, la langue peut créer ce sentiment d’appartenance à un groupe. Dans De quel amour blessé (1998), un des protagonistes démontre à l’autre que pour être arabe, il est nécessaire de comprendre l’arabe : « Oum Kalsoum, c’est la Callas… C’était une cantatrice, une superstar ! Donc : un cheikh huileux, un Libanais de Neuilly ou un footballeur du Maghreb, ce qu’ils ont en commun, c’est de pouvoir écouter Oum Kalsoum en version originale. Or toi, tu ne parles pas arabe, donc tu n’es pas un Arabe. C’est mon point de vue, je ne bouge pas de là » (68). Et en revanche, connaître les mots sans en comprendre la signification n’a aucune valeur (74).

Par ailleurs, Henri Tajfel, un socio psychologue britannique, a enquêté sur les caractéristiques communes nécessaires pour qu’un groupe se considère tel et sa conclusion fut que leur nombre pouvait être infime. Un de ses élèves, Richard Bournis, l’exprime ainsi :

Henri Tajfel, dans ses études originales, a réussi à démontrer que la catégorisation « eux-nous », et aussi l’identification à son propre groupe, est suffisante pour créer un effet de discrimination en faveur de notre propre groupe et contre l’autre groupe[21].

Ainsi peut-il se révéler en temps de guerre, non seulement dans l’armée, mais aussi au travers des genres et engendrer une véritable guerre des sexes comme l’expriment plusieurs analyses de génocides. Par exemple, Gerhard Reichling dans le livre de Helke Sander et Barbara Johr, BeFreier und Befreite. Krieg, Vergewaltigungen, Kinder parle des femmes allemandes violées et souvent tuées par les soldats soviétiques à Berlin[22] et remarque que ces faits sont encore par trop méconnus et parfois sciemment occultés. Par ailleurs, le viol, souvent perpétré en tant que représailles du vainqueur sur le vaincu l’est aussi pour sauver l’honneur du premier, mais détruit celui du second.

Cependant, comme l’exprime Fouad Laroui, combattre avec courage peut être admis bien que d’autres possibilités soient aptes à sauver l’honneur.

Si l’on veut survivre comme individu, la meilleure stratégie dans une bataille, c’est de prendre la fuite. Mais si tout le monde fait cela, c’est la débandade et la fin du clan. L’honneur du membre du clan, c’est donc de combattre et de combattre avec courage. D’autres conduites étaient honorables : l’hospitalité, la dignité, la générosité, etc. Tout cela ne pose aucun problème : ce sont des vertus qui sont également souhaitables chez l’individu dans un monde sans tribus. Le nôtre, par exemple[23].

Les romans, les nouvelles, l’islam et le Coran

Grâce à ses personnages, Laroui détruit quelques préjugés et en débusque d’autres profondément enracinés dans la croyance sociétale comme celui qui fait admettre que tout Arabe est musulman. Ainsi, dans Une année chez les Français, le petit héros Mehdi est-il subjugué par la vie au lycée et par son entremise, Laroui montre que tous les Marocains ne sont pas nécessairement musulmans (142). L’islam n’interdit rien à l’exception de faire sa prière en état d’ébriété, donc l’absorption de vin est autorisée par le Coran, dans une scène où s’accentuent les malentendus. Mehdi grimaçant devant le verre de vin tendu, le pion qui vient de le lui offrir, pense que cela est dû à la pauvre qualité du breuvage : « Ce n’est pas du château pétrus mais ce n’est pas non plus de la piquette » professe-t-il après lui avoir appris que « Les Français, ils mettent du vin dans le biberon de leurs enfants » (143-144). Phrases où perce l’humour de Laroui. Le « château pétrus » réunit le vin tant aimé des Français – il faut tout de même l’avouer, s’il est bon il provient d’un château, d’où son appellation – et petrus, le petit clin d’œil à la chrétienté. Et l’autre côté du cliché, laisse voir les Français qui mettraient du vin dans le biberon de leurs enfants – les préjugés ont la peau dure.

Par les réflexions de Medhi à la fin de l’année scolaire, Laroui démontre l’inanité des préjugés d’un groupe vis-à-vis de l’autre :

Tayeb disait des professeurs de Lyautey que c’étaient des barbares parce que certains vivaient en concubinage […]. Et peut-être y avait-il dans certains comportements, certaines idées de Tayeb quelque chose de barbare aux yeux de… M. Porte, peut-être ?  (296)

Le Coran demande à ses adeptes d’être mariés pour être de bons musulmans. Une obligation que Laroui précise dans l’un de ses romans, comme nous le verrons plus loin. Que le Coran interdise les jeux de dames ou d’échecs, le narrateur de Quel amour blessé le réfute (47) et la maîtresse de maison se révolte en refusant d’accomplir les tâches ménagères lorsque l’on veut la priver de télévision qui selon un invité serait un péché (48).

Et comprendre tout le monde signifie quoi pour celui qui comprend l’une et l’autre des positions de chacun ? Être doublement barbare ou être rien du tout ? Deux conclusions « aussi inquiétante » l’une que l’autre pour Medhi au début du chemin de la vie.

Parler de temps en temps de religion implique de parler du Coran lorsque les Marocains sont en scène. Aussi dans Le Jour où Malika ne s’est pas mariée (2009), le lecteur fait-il la connaissance avec le hadith qui stipule l’obligation de se marier pour un bon musulman. Mais, les « bondieuseries laïques » que sont les tours Eiffel en plastique, les filets de pêcheurs accrochés aux murs, les vues du Mont-Saint-Michel, le Gavroche, le poulbot et les réclames diverses apparaissent dans La Femme la plus riche du Yorkshire, sans qu’il soit questions de « eux » ou « nous ».

Chez Laroui, il s’agit plutôt souvent de « moi » et « eux » comme dans La Femme la plus riche du Yorkshire où le « docteur Serghini, fleuron de l’université marocaine » se voit, à son corps défendant et un peu d’amertume, « surveillé par un jongleur déchu qui vit dans une hutte » (51). « Voilà ce que c’est d’être étranger » souligne le narrateur de Laroui. De même dans De quel amour blessé, le protagoniste devient-il conscient d’un mur invisible entre « eux » et lui le jour où « une vieille dame serre tout à coup son sac à main à sa vue » (27). La même scission a lieu lorsque le narrateur observe la politique dans les journaux et les « intégristes démocrates » (44).

Laroui crée aussi des situations où la discrimination est évidente comme dans Tu n’as rien compris à Hassan II(2004) où  le professeur Belbal est soumis à un interrogatoire par un journaliste plein de parti pris en tant qu’allochtone alors qu’il « avait participé à la mise au point de la technologie des écrans plats » :

–       Comment expliquez-vous que vous, vous vous en soyez sorti ?

L’interpellé ne compris pas tout de suite le sens de cette phrase. Pourquoi ne s’en serait-il pas sorti ? Il n’était pas inscrit dans ses gènes qu’il allait dépouiller les vieilles dames et démolir les aubettes. L’animateur impatient, répéta sa question, sous une autre forme […]. (78)

Mais les préjugés fonctionnent des deux côtés :

 Encore aujourd’hui j’ai du mal à me débarrasser de ce préjugé ancré dans mon âme de pitchoune, que les Américains, c’est des gens qui te racontent des histoires pendant une demi-heure puis t’offrent une limonade pour faire passer. (89)

À la veille de Noël, que les enfants souhaitent fêter avec un arbre, la discorde éclate dans la famille arabe où un cousin s’érige contre cette coutume qui devrait être réservée aux chrétiens mais ne pas faire son apparition dans une famille arabe (94). Laroui ne manque cependant pas une occasion d’accentuer les ressemblances entre les différentes communautés en dépit de l’administration qui tente de le faire pour les différences comme écrire sur les fiches d’inscription la différence entre Français (F), Marocains israélites (MI) ou Marocains musulmans (MM), une pratique contre laquelle s’érige les enfants (98) en créant une religion nouvelle (100).

La vieille dame du riad (2011) est certainement le plus politique des romans de Laroui. Là sont aussi plus présentes les citations et références au Coran. Pour se marier, la lecture de la première sourate, la Fatiha est suffisante (104) et un homme peut, selon la chari’a posséder jusqu’à quatre épouses (105). L’islam honore la profession de marchand. Et les paroles du Prophète son reproduites dans les pages du roman (113). Le héros s’interroge : « Ne sommes-nous pas en dar el-islam, maison d’islam, terre pacifiée » (113) et l’Espagne, la France et l’Angleterre, d’où viennent les infidèles « dar el-harb, orbe de guerre » (113).

Et Tayeb, parti à la guerre médite la vingt-septième nuit du Ramadan, la « nuit sacrée » (134). Abdelkrim confessera que le fanatisme religieux fut cause de sa défaite (154) et le seul grand djihad valable est « celui qu’on fait contre soi » (155). Comme l’expérimente celui qui tente d’apprendre l’arabe – lequel se demande-t-il, celui du Coran ? – dans De quel amour blessé (28). Les fous de religion empoisonnent la vie des autres. Voiler les femmes ? Pourquoi ? Il suffirait pour eux de se bander les yeux (43).

Dans La Vieille dame du riad, Laroui mentionne aussi un crime contre l’humanité : « l’emploi à grande échelle d’armes chimiques par l’Espagne contre la population du Rif » pour forcer l’issue de la guerre.

Dans ce roman, les notions du « nous » et « eux », « Nous contre eux » sont les plus fortes et laissent voir les ravages engendrés par de telles positions. Diviser Arabes et Berbères est une abomination insensée – métaphorisation de la division de tous les peuples – aux yeux des Marocains. « Nous savons tout cela, mon cher Tayeb. Ce sont eux qui ne le savent pas » est la réplique qui salue cette loi imposée par les coloniaux (160).

Conclusion

Fouad Laroui, grâce à son immense érudition littéraire, sa grande connaissance de plusieurs domaines scientifiques et sa position existentielle ancrée dans plusieurs cultures, possède la faculté de démontrer les caractéristiques, les préjugés, les clichés ayant cours dans plusieurs sociétés, de pouvoir les ausculter et les représenter et par un regard alternativement centripète et centrifuge. L’islam et le Coran sont parfois présents dans ses romans, mais jamais l’islamisme ou des islamistes car « l’islamiste, lui, n’est pas amusant : en invoquant les droits de Dieu, qui sont par définition absolus et infinis, il annule purement et simplement ceux de l’homme »[24].

Le XXe siècle a été traversé par des conflits meurtriers et tout comme les génocides qui l’ont secoué ont été générés par la notion omniprésente du « nous et eux ». Laroui démontre de façon subtile, mais néanmoins pertinente et efficace, la nocivité de certaines doctrines, préjugés et clichés et que la seule grande bataille valable est celle que l’on mène contre soi. Ses personnages sont légers et amusants et Laroui a choisi l’humour pour enseigner sans toutefois craindre d’être sérieux comme sa narration de la guerre du Rif dans La vieille dame du riad. Par sa contribution à la littérature sous forme d’essais, de romans, de poésie et de nouvelles, Laroui permet aussi de sentir la grande divergence entre islam et islamisme, une différence trop peu accentuée à l’heure actuelle dans notre société surmédiatisée.

BIBLIOGRAPHIE

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______________. Le Jour où Malika ne s’est pas mariée, Paris, Julliard, 2009.

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______________. La vieille dame du riad, Paris, Julliard, 2011.

MARGOLIN, Jean-Louis. « Le Génocide au Cambodge, 1975-1979. Race, idéologie et pouvoir », Paris, Gallimard, traduit de l’anglais par Marie-France de Paloméra, 1998, 730 p.,  dans Vingtième siècle. Revue d’histoire, année 1998, numéro 60, pp. 160-161.

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Waller, James. Becoming Evil: How Ordinary People Commit Genocide and Mass Killing, Oxford University Press, USA, 2005.

Zillmer, Eric, Retzler, A. Barry A., Harrower, Molly et Archer, Robert P. The Quest for Nazi Personality: Psychological Investigation of Nazi War Criminals (Personality & Clinical Psychology), Lawrence Erlbaum Assoc Inc, 1995.

 Notes


[1] Fouad Laroui, L’étrange affaire du pantalon de Dassoukine, Julliard, 2012

[2] Fouad Laroui. Les Dents du typographe, Paris, Julliard, 1996.

[3] Fouad Laroui. La Femme la plus riche du Yorkshire, Paris, Julliard, 2008.

[4] Fouad Laroui. « Entretien avec Christine Rousseau », dans Le Monde, 12 mars 2004.

[5] Fouad Laroui. Le Magazine littéraire, avril 1999. Nous aimerions ajouter : ne le sont-elles pas partout dans le monde à un niveau plus ou moins élevé ?

[6] Ibid.

[7] Ibid.

[8] Fouad Laroui. Le Magazine littéraire, avril 1999.

[9] Fouad Laroui. De l’islamisme. Une réfutation personnelle du totalitarisme religieux, Robert Laffont, 2006, p. 155.

[10] Ibid., p. 10.

[11] Ibid., p. 46.

[12] Ibid., p. 172.

[13] Ben Kiernan. Le Génocide au Cambodge, 1975-1979. Race, idéologie et pouvoir, Gallimard, 1998, traduit de l’anglais par Marie-France de Paloméra.

[14] Ibid., pp. 18-21.

[15] Jean-Louis Margolin, dans Vingtième siècle. Revue d’histoire, année 1998, numéro 60, pp. 160-161.

[16] Kiernan. Le Génocide au Cambodge, 1975-1979. Race, idéologie et pouvoir, pp. 18-21.

[17] Kiernan. Le Génocide au Cambodge, 1975-1979. Race, idéologie et pouvoir, pp. 18-21.

[18] Cf. Douglas M. Kelley. Twenty-two Cells in Nuremberg, M.D. New York, Greenberg Publishers, 1947 ; Gustave M. Gilbert. Nuremberg Diary, Da Capo Press, 1995.

[19] Eric A. Zillmer, Barry A. Retzler, Molly Harrower, Robert P. Archer. The Quest for Nazi Personality: Psychological Investigation of Nazi War Criminals (Personality & Clinical Psychology), Lawrence Erlbaum Assoc Inc, 1995.

[20] James Waller. Becoming Evil: How Ordinary People Commit Genocide and Mass Killing, Oxford University Press, USA, 2005.

[21] Richard Bournis, Radio Canada, consulté le 26 décembre 2011, URL : http://www.radio-canada.ca/actualite/v2/enjeux/niveau2_10939.shtml.

[22] Helke Sander et Barbara Johr. BeFreier und Befreite. Krieg, Vergewaltigungen, Kinder, Fischer-TB.-Vlg., Ffm, 1999.

[23] Laroui. De l’islamisme…, p. 139.

[24] Laroui. De l’islamisme, p. 142.

Classé sous :Salon littéraire Balisé avec :Editions Juilliard, fb, Fouad Laroui

juillet 29, 2016 By mlc

Tourisme noir et devoir de mémoire.

A picture taken in January 1945 depicts Auschwitz concentration camp gate and railways after its liberation by Soviet troops. // Photo prise en janvier 1945 montrant la grille d'entrée et les rails du camp de concentration d'Auschwitz après sa libération par les troupes soviétiques.

Misérabilisme et devoir de mémoire ?

Exception faite de Balzac ou Zola, il semblerait que le misérabilisme ne produit pas de gros pavés. Par ailleurs, avec la télévision qui vomit à tour d’antenne des horreurs vraies aux actualités ou mises en scène dans les séries, nous sommes devenus insensibles au malheur des autres tant qu’il reste éloigné derrière l’écran ou dissimulé dans les pages d’un livre. Tout comme au XIXe siècle, une incontestable délectation à se repaître des conditions de vie sordides de certains de nos frères humains semble exister. Cette disposition donne naissance à un nouveau terme qui cache une activité loin d’être récente : le tourisme noir – forme de tourisme qui, selon Salvayre, serait propédeutique[1] –,  aussi appelé le tourisme de catastrophe, le tourisme sombre, tourisme macabre ou le thanatourisme qui a son tour engendre des petits livres loin des gestes balzaciennes.

Lydie Salvayre, avec son roman précurseur, Les belles âmes[2], arrivait à peine à remplir 140 pages ; Le Wagon d’Arnaud Rykner[3] n’en comportait pas plus d’une centaine et Chris Simon en noircit tout juste 130 avec Memorial Tour[4].

Dans Le Wagon – loin d’être un pavé comme nous l’avons souligné –, un narrateur prend la place d’un déporté pendant les trois jours d’un voyage interminable vers une destination inconnue, mais dont il y a tout lieu de croire qu’elle est celle d’un camp de la mort. L’embarquement cruel d’hommes, femmes et enfants interpelle le narrateur :

Lequel aurait pensé pourtant qu’on entasserait cent corps dans ce wagon prévu pour “quarante hommes ou huit chevaux en large” ? Et cent corps dans le wagon devant. Et cent corps dans le wagon derrière. Et vingt wagons, ou plus, pour aller où ? Vingt wagons à la queue leu leu, comme des enfants punis, des enfants honteux, morveux, battus, sales, retenant leur culotte, se retenant pour ne pas souiller leur culotte.[5]

wagonAvec pudeur et compassion, Rykner reproduit un train de pensée qui, s’il étonne parfois, fait montre de cohérence et de réflexion, réflexion de celui au bord du gouffre qui résiste pour éviter d’y sombrer :

Il nous reste encore ça. Cette force de pouvoir rire d’eux, au bord de s’évanouir, bientôt peut-être au bord de la tombe. Mais, c’est notre tour de nous lever. Fin de la parenthèse. Je me demande si j’aurai encore l’occasion de rire. Nos visages à présent se figent. Seule notre bouche s’ouvre, excessivement. Comme un plongeur qui sortirait de l’eau. De l’eau. Cette seule idée me fait mal tant j’ai soif. Il faudrait ne plus penser. À rien. N’être plus rien. Je voudrais être mort. Je suis fatigué.[6]
Le héros – peut-on encore parler de héros dans le cas d’un corps pressé jusqu’à l’étouffement – sans le vouloir, comme envahi par une mémoire involontaire, bénéficie du voyage forcé pour réfléchir sur des questions existentielles auxquelles il n’aurait peut-être, sans cela, jamais été confronté :

Contrairement à ce que je pensais, la mort des autres m’est plus atroce que la mienne. Parce qu’elle est pire que ma mort, qui n’est qu’une idée de ma mort, alors que la mort des autres c’est ma mort vécue, c’est ma mort au présent, regardée, écoutée, auscultée avec horreur.[7]

Horreur de l’acheminement accentuée par la chaleur, le manque criant de provisions de bouche et la totale absence d’eau. Impossible de rester raisonnable dans ces conditions et chaque tentative de relativiser ou d’analyser à voix haute la situation devient un sujet d’hystérie collective. Il en est ainsi lorsque l’un d’entre eux essaie d’expliquer le processus chimique à l’œuvre dans le pourrissement de la paille étalée en litière dont s’échappent des vapeurs nocives :

Alors, comme s’ils n’avaient attendu que ça pour se réveiller, comme si la conscience soudain leur était redonnée par ces mots leur annonçant une mort idiote, abjecte, sous le soleil, tous les camarades se mettent à hurler, à frapper les parois, des pieds, des mains, certains de la tête, criant qu’on nous ouvre, qu’on nous donne de l’air, qu’on ne nous laisse pas crever comme des bêtes, qu’on ne ferait même pas ça à des bêtes. Ils crient, ils tapent, ils hurlent. Les pieds hurlent autant que les têtes.[8]

Le narrateur reporte avec minutie l’enfer du voyage. Le tas de cadavres empilés, des morts succombés dès le premier jour de douleur où il essaie d’échapper à leur vue impressionnante et annonciatrice d’une fin éventuelle prochaine.

Moi, je me suis mis une chemise sur la tête, et je respire au travers, sans rien voir. Mais rien ne m’empêchera d’entendre le gargouillement qui sort de la masse informe. On peut se cacher les yeux, se boucher le nez, mais nos oreilles nous rattrapent. Avec elles on ne peut rien faire, on ne peut pas tricher. Elles nous livrent à eux. À cause d’elles, les morts continuent de nous parler, de gémir dans leur langage à eux, fait de bouillonnements sourds, lugubres, obstinés.[9]

A photo taken 27 May 1944 in Oswiecim, showing Jews alighting from a train in the Auschwitz-Birkenau extermination camp. The Auschwitz camp was established by the Nazis in 1940, in the suburbs of the city of Oswiecim which, like other parts of Poland, was occupied by the Germans during the Second World War. The name of the city of Oswiecim was changed to Auschwitz, which became the name of the camp as well. Over the following years, the camp was expanded and consisted of three main parts: Auschwitz I, Auschwitz II-Birkenau, and Auschwitz III-Monowitz. Red Army soldiers liberated the few thousand prisoners whom the Germans had left behind in the camp, 27 January 1945. AFP PHOTO/ YAD VASHEM ARCHIVES
AFP PHOTO/ YAD VASHEM ARCHIVES

La libération ne viendra pas ; le lecteur le sait dès la première page, la première ligne où il a encore le choix. Continuer la lecture ou poser le livre. Que peut-il apprendre de cette introspection, cette descente dans les tréfonds de l’horreur ? Peut-être justement est-ce de sentir ce que la déportation a pu être pour la part de l’humanité qui l’a subie sans jamais se départir de son savoir, de la connaissance de son bourreau : l’homme embrigadé dans une spirale de haine où même les enfants avaient leur place dans le processus de destruction :

Avant que je comprenne, un caillou cogne le barbelé puis m’atteint en pleine joue. Je me baisse d’instinct avant de comprendre que c’est un groupe d’enfants qui me regardent ; ils profitent d’un court arrêt du train pour lapider les ennemis de l’Allemagne. J’entends leur cri, je l’entends sans y croire : “Juden ! Juden ! Alle ins Krematorium”.[10]

Savaient-ils donc la destination finale des Juifs transportés dans les trains sur les rails si près d’eux ? Comment des enfants pouvaient-ils souhaiter la mort de leurs semblables ? Il est probable que ce soit cela le véritable Mal, lorsque les enfants reprennent à leur compte les plus vils concepts des adultes et ne reconnaissent plus des membres de l’humanité comme les leurs.

2350346 Poland, Osventsim . 03/01/1942 The Second World War (1939-1945). Poland, Auschwitz, 1942. The suitcases featuring markings from all European countries were burned in the death camps' ovens. Reproduction. Judin/RIA Novosti
Reproduction. Judin/RIA Novosti

Tourisme noir

Une référence à Balzac et Zola est loin d’être tout à fait fortuite, le XIXe siècle ayant été généreux en compositions décrivant les nantis visitant les damnés de la terre occidentale et faisant œuvre de charité ou les scènes peignant de façon pittoresque, dans des romans-fleuves, la vie des gens misérables – principalement comparée à celles de ceux qui pouvaient se permettre de les lire. Que l’on songe à Mérimée, Dumas ou Hugo. Toutefois, personne ne parlait de tourisme noir à l’époque, le terme n’ayant pas encore fait son apparition. Les livres de Salvayre et Simon explorent le thème.

Lydie Salvayre met en scène un groupe d’hommes et de femmes  embarqués dans un tour des quartiers pauvres des banlieues des grandes villes européennes avec un guide pour le moins grandiloquent :

Cette cité, dit-il, bouleversé, cette cité ressemble à une prison. Son architecture froide, sa tristesse infinie, ses fenêtres fermées sur ce ciel glauque la font pareille à une prison. Et c’est ce qu’elle est en vérité. Une prison sans geôlier où l’on parque le troupeau des hommes humiliés. Et ces hommes, dit-il, parqués à perpète dans ces immondes tours, mourront sans avoir rien connu de la beauté du monde et sans jamais l’avoir célébrée. Et leurs enfants, plongés jusqu’au cœur dans la laideur des choses mourront dans la laideur. Or il y a dans la laideur quelque chose qui fait peur, qui fait mal, qui mortifie les âmes et insulte atrocement l’intelligence. Quelque chose qui tue.[11]

Rencontres organisées avec les habitants et les belles âmes sont les touristes qui désirent connaître la vérité. Celle des quartiers les confronte à la pauvreté ambiante et même à l’absence d’accommodations publiques, un manque similaire se retrouve chez Simon et Rykner :

Mlle Faulkircher murmure, entortillée, à l’oreille de Jason qu’elle voudrait aller au petit coin. Mais nul édicule n’est prévu dans la cité à usage de petit coin, en dehors des ascenseurs et cages d’escaliers. Jason lui suggère de pisser derrière une bagnole. Les femmes feront la haie. Vu des fenêtres, le spectacle sera moins choquant qu’un combat de pitbulls. Hi hi hi ![12]

belles amesAprès plusieurs visites de foyers décrépis, la beauté de leurs âmes s’effrite et c’est bien heureux qu’ils retournent dans leurs douillettes maisons, loin des misères pourtant si proches géographiquement. L’humour de l’auteur sauve le livre dont le lecteur s’interroge sur le besoin de ces visiteurs à déambuler au milieu de la pauvreté et des horreurs humaines comme le fait le chauffeur du bus Vulpius :

Le chauffeur Vulpius se demande, néanmoins, par quel désir contre nature, par quelle insane perversion ces touristes aisés qui pourraient, s’ils le voulaient, visiter de belles et grandes choses comme le Taj Mahal, le Krak des Chevaliers ou la pyramide de Kheops, le chauffeur Vulpius se demande par quel penchant morbide, par quelle aberration vicieuse ces touristes retors sont venus se paumer dans d’aussi mornes paysages. C’est louche.[13]

Le couple de Chris Simon pense avoir rendez-vous avec l’histoire. Pour eux, comme pour les excursionnistes de Lydie Salvayre, il s’agit d’un choix. Dans Memorial Tour, Patrice, veut faire un présent à sa femme qui discute tranquillement avec d’autres embarqués : « – Une surprise de mon mari. Il croit qu’il suffit de se mettre à la place des autres et vivre leur expérience pour les comprendre. Une sorte de religion chez lui. Moi, je suis plus pessimiste, mais toujours curieuse de connaître mes limites ! »[14]

Salvayre et Simon ont toutes les deux la psychiatrie en commun et plus exactement le lacanisme. Chris Simon en rapporte les séances dans sa série Lacan et la boîte de mouchoirs et Lydie Salvayre s’inspire de sa définition du fantasme pour préciser celui d’Olympe, la jeune amie de l’animateur.

Devant les réactions du groupe, l’accompagnateur n’est pas autrement surpris. Pour avoir participé par trois fois à de semblables pèlerinages, il sait que se succèdent quatre phases chacune marquée d’un pic : une phase d’enthousiasme humanitaire, une autre de dépression cyclonique de la conscience, suivie de près d’une phase purement catastrophique, qui précède, à l’arrivée, une phase de lâche soulagement. La séquence est algébrique.[15]

L’hésitation dans le choix du périple est décrite chez Salvayre et Simon. Les voyageurs de Rykner n’ont évidemment pas eu d’autre option.

Dans les romans de Salvayre et de Simon, tout le monde prend le début du circuit à la rigolade. Pour les touristes de Simon, il s’agit d’une simulation. « Historiquement correct » s’écrie l’un des gaillards. Cependant l’invraisemblable surgit dans Memorial Tour lorsque les voyageurs – qui ont déboursé pour être mis en situation historique – sont étrillés par l’un des gardes :

Patrice paie au vendeur deux bouteilles d’eau et des chips. Une sentinelle se jette sur lui, le frappe au visage de sa matraque et lui confisque la marchandise. Elle fait dégager illico presto le vendeur, qui déguerpit. Un renfort de soldats vient se charger de ceux qui se rendaient dans le hall de la gare. J’abandonne nos valises à roulettes et me lance au secours de mon mari, mais un gradé s’en mêle.[16]

mémorial tourL’héroïne narratrice est absolument débordée par la situation. Que des sentinelles surveillent les touristes et se servent de leur fusil, cela semble, en effet, dépasser les bornes ce qu’elle remarque outrée : « Nous violenter, nous menacer de leurs armes, mais pour qui ils se prennent. Ils vont entendre parler de moi, je ne vais pas en rester là »[17]. Remontrances que n’ont pas les voyageurs de Rykner tout en souffrant cruellement de la même absence d’eau.

Les excursions organisées dans les banlieues pauvres existent bel et bien – plusieurs opérateurs ont pris d’assaut le créneau –, toutefois, les agences de tourisme, si elles proposent bien à l’heure actuelle la visite des camps, n’ont pas encore eu l’idée d’y amener leurs clients en wagon à bestiaux. Cela ne saurait probablement plus vraiment tarder. Iront-elles jusqu’à les faire frapper par la crosse des fusils de sentinelles de pacotilles et avancer nus dans les chambres à gaz pour faire plus authentique ? Chris Simon l’a fait et elle pose la question : « Quel genre d’humains sommes-nous ? »[18]

Chez Simon, tout comme chez Rykner, l’humour est absent de la fiction. L’horreur est non seulement dans les deux romans, mais aussi dans le fait qu’elle continue à se propager sur terre. C’est un peu la faiblesse de la fin du livre de Simon qui annonce : « Plus jamais. Plus jamais ça. »[19], tandis que le lecteur sait avec amertume que « ça » se déroule quelque part dans le monde au moment même où il lit la phrase bien que fréquemment sur un autre continent. Pas les chambres à gaz, non ; mais les massacres, oui. Oui, les massacres se déploient aujourd’hui encore couramment dans la plus grande indifférence.

Devoir de mémoire ou exploitation d’un sujet porteur ?

Une question qui revient incessamment ces dernières années. Depuis le succès planétaire de Jonathan Littell et Les Bienveillantes[20], des auteurs semblent se vouer à la représentation du Mal dans leurs écrits – lorsqu’il ne s’agit pas purement de sa banalisation. L’Origine de la violence  de Fabrice Humbert[21], HHhH de Laurent Binet[22], Jan Karski de Jannick Haenel[23] – pour ne nommer que ceux-là parmi tant d’autres – en sont un exemple.  Ils sont parfois difficiles à terminer tant ils apostrophent le lecteur et le poursuivent dans ses retranchements douillets à l’abri de son chez-soi. Néanmoins, il en conviendra sans peine : « Il n’y a pas de limite au pire »[24] pourrait bien être la conclusion de tout ouvrage se hasardant dans les terrains marécageux du Mal.

 

[1] Lydie Salvayre, Les belles âmes, Seuil, 2000, coll. Points, p. 94.

[2] Les belles âmes, op. cit.

[3] Arnaud Rykner, Le Wagon, La Brune/Au Rouergue, 2010.

[4] Chris Simon, Memorial Tour, Editions du Réalisme délirant, 2016.

[5] Le Wagon, op. cit., p. 19.

[6] Ibidem, p. 26.

[7] Ibidem, p. 36.

[8] Ibidem, p. 54.

[9] Ibidem, p. 66.

[10] Ibidem, p. 137.

[11] Les belles âmes, op. cit., p. 27.

[12] Ibidem, p. 45.

[13] Ibidem, p. 42.

[14] Memorial Tour, op. cit., p. 38.

[15] Les belles âmes, op. cit., p. 115.

[16] Memorial Tour, op. cit., p. 68.

[17] Ibidem, p. 68.

[18] Ibidem, p. 119.

[19] Ibidem, p. 133.

[20] Jonathan Littell, Les Bienveillantes, Gallimard, 2006.

[21] Fabrice Humbert, L’Origine de la violence, Le Passage, 2009.

[22] Laurent Binet, HHhH, Grasset, 2010.

[23] Jannick Haenel, Jan Karski, Gallimard, 2009.

[24] Les belles âmes, op.cit., p. 36.

 

Credits photographiques:

© Mémorial d’Auschwitz-I

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juillet 14, 2016 By MLC

Mythes et mythification de l’auteur Indé

IMG_0989Auteur auto publié et auteur auto édité

Plus chic, plus flou aussi, « auteur indépendant » (Indé) a remplacé « auteur auto édité » signifiant, malgré tout, peu ou prou de différence. De fait, autoédité avait l’avantage d’être plus clair au premier abord : un auteur qui s’édite lui-même. Dans la pratique, le terme reste pernicieux, car peu d’auteurs font un véritable travail d’édition sur leurs textes cela étant de facto impossible. On devrait plutôt parler d’auteur auto publié, ce qui aurait le mérite d’être clair – du moins pour les initiés.

La confusion entre « publié » et « édité » vient, de toute évidence, de celle entre « publication » et « édition ». Publication équivaut à l’action de rendre publique une information. Ainsi, la publication des bans de mariage, rendre publique l’intention de untel et unetelle de prononcer des vœux de fidélité et autres l’un envers l’autre et vice versa ; publier une loi ; publier les exercices d’une entreprise… Publication est maintenant dans le langage courant, non seulement l’action de publier, mais de même un substantif décrivant ce qui a été publié. Ainsi, un article scientifique ou un article de loi, une revue ou un livre sont des publications.

En revanche, l’édition est l’acte d’éditer le texte d’un auteur en en faisant la critique. Cette définition a été de plus en plus occultée au profit d’une signification égale à « reproduction », « publication » et « diffusion ». En ce sens, on peut aisément parler d’auteur autoédité, mais si on considère « éditeur » correspondant à « faire la critique de l’œuvre », il ne peut conséquemment pas y avoir substitution à « autopublié ».

La confusion est toutefois bel et bien ancrée dans l’esprit des lecteurs et celui des auteurs eux-mêmes. « Auteur indépendant » aurait pu avantageusement prendre la place de « auteur autoédité » et « auteur autopublié » s’il n’avait lui aussi recouvert tout un possible d’interprétations.

Qu’est-ce qu’un auteur Indé ?

Voici la grande question.

De ce qui précède, un auteur Indé serait un auteur qui s’auto publie à la différence d’un auteur Tradi publié par une maison d’édition traditionnelle où un éditeur a lu, critiqué, corrigé son texte. Ces dernières occurrences : dans le meilleur des cas. Dans notre propos, nous occultons à dessein les auteurs publiés à compte d’auteur par des maisons peu scrupuleuses qui sans faire aucun travail d’édition ou de diffusion sur les textes et ne sont rien moins que des aides à la publication, facturent leurs services à des tarifs habituellement prohibitifs.

La publication d’un roman (ou si l’on préfère son édition), effectuée par une maison d’édition traditionnelle engendre un travail considérable. Que l’on songe à la correction du texte, à la mise en page, à la fabrication d’une couverture (raison pour laquelle de nombreuses maisons gardent un seul et unique modèle de typographie et la même iconographie pour toutes leurs maquettes de romans (Gallimard, Seuil, Grasset, Minuit, et cetera.), au calcul du prix de vente, au marketing et à la diffusion. Tâches dont l’auteur indépendant doit prendre l’entière responsabilité et effectuer en plus de l’écriture.

Mais, pourquoi un auteur va-t-il se charger lui-même de la publication de son texte – ce qui représente une somme herculéenne de travail – si des maisons d’édition peuvent le faire ? direz-vous.

Nous voici au cœur de la question.

En effet, parmi les auteurs Indés, on trouve des auteurs refusés par les maisons d’édition traditionnelles – c’est-à-dire des auteurs qui ont envoyé leurs textes (romans, poésie, guides, essais) à des maisons d’édition ayant pignon sur rue et se sont vus dotés d’une fin de non-recevoir pour différentes raisons. En clair : un refus (mais pas que). Ce refus est loin d’être le signe de la nullité du texte. En effet, un bon nombre d’auteurs s’est vu leur texte renvoyé qui est devenu par la suite un best-seller. Pour n’en citer que quelques-uns : Jonathan Littell s’est vu refuser son manuscrit Les Bienveillantes par une dizaine d’éditeurs avant d’être accepté par Gallimard et de remporter avec son livre le prix Goncourt. Idem pour Le Testament français d’Andreï Makine, finalement publié au Mercure de France et raflant le Goncourt, le Goncourt des lycéens et le prix Femina. Pas mal pour un manuscrit mis au rebut par une dizaine d’éditeurs.

Bien entendu, tous les manuscrits refusés ne sont pas promus à une aussi belle carrière, mais cela démontre qu’étrillé par les uns peut très bien être adoré par d’autres. Ce qui laisse tout de même entendre que dans le tas des refusés certains textes mériteraient d’être portés à l’attention du public. Mais l’autopublication suffirait-elle à les faire connaître ? Après la publication, il faudrait en faire la promotion. Nous y reviendrons.

Parmi les auteurs auto publiés, on peut aussi rencontrer les auteurs qui voient l’autoédition comme un tremplin vers l’édition traditionnelle. C’est l’auteur qui, sûr de son produit (eh oui, le livre est un produit), le lance lui-même et espère ainsi attirer l’attention d’un éditeur traditionnel. Il y a aussi l’auteur qui fait de l’auto publication, car c’est pour lui le seul moyen d’être libre. « Personne ne touche à mon texte. Je veux publier tout ce que je veux et comme je l’entends, » déclame-t-il à l’envi. Sans oublier l’auteur prolifique qui, bon an mal an, sort un roman tous les deux mois et qui n’écrivant pas des intrigues à l’eau de rose est un mauvais cheval pour l’écurie Harlequin. D’autre part, aucun autre éditeur n’accepterait de publier une production si conséquente. Là aussi l’auto publication peut s’avérer la panacée. De fait, la plupart du temps, l’auteur Indé réunit un mélange de toutes ces éventualités. Par suite, l’auteur Indé est en proie à une dissonance cognitive profonde, répercutée sur toute la communauté.

Tiraillé entre l’aspiration à la reconnaissance (représentée par un contrat en bonne et due forme avec une – de préférence grande – maison d’édition traditionnelle) et celle de l’indépendance relative de son statut, l’auteur Indé oscille entre plusieurs concepts et alternatives. Néanmoins, l’un d’eux émerge constamment : le manque de reconnaissance à n’être qu’un auteur Indé – l’auto publication ayant mauvaise réputation auprès des lecteurs. Même si le terme Indé est plus chic qu’autopublié, il dissimule un mal-être que l’on peut aisément observer en parcourant les groupes Facebook où les Indés se rencontrent et échangent leurs idées avec pour leitmotiv « Comment se faire connaître ? », « Comment être reconnu comme un auteur à part entière ? », et cetera. Cette réputation défectueuse, l’auteur Indé la doit, pour une grande part, à la presse sans toujours la mériter.

La vision séparatiste de la presse

Au fil du temps, la presse n’a eu de cesse de véhiculer une vision binaire de l’auteur : d’un côté les Indés ; de l’autre les Tradis. Dans ces deux catégories, la première subit un ostracisme doxal exubérant et perpétuel. Les salles de rédaction auraient-elles pour mot d’ordre de décrier les Indés, dont les livres seraient bourrés de fautes : erreurs grammaticales, orthographiques et syntaxiques avec une terminologie simpliste et un vocabulaire restreint ? Cela y ressemble si l’on prend en considération grand nombre des articles sur le sujet.

Un véritable mythe poursuit le lecteur Indé : il est négligent, publie tout et n’importe quoi et surtout n’importe comment. Ses romans sont des resucés d’auteurs connus ; les couvertures de ses livres se reconnaissent à leur médiocrité délirante… Toutefois, c’est mal faire la part des choses et occulter, entre autres, les auteurs Tradis qui las de travailler avec une maison d’édition – celle-ci ou bien faisait traîner en longueur la parution de leurs ouvrages ou bien ne leur remettait pas en temps les arrêts des comptes, voire ne les leur communiquait pas du tout –, ces auteurs donc qui se sont tournés vers l’autoédition pour gérer de première main l’administration et la publication de leurs œuvres et sont passés du camp des purs Tradis à celui des Indés pour de nouveaux ouvrages tout en gardant leurs précédents livres chez des éditeurs traditionnels. Ce sont les « auteurs métis ». La qualité de leurs écrits est restée la même que par le passé, c’est-à-dire celle d’auteurs acceptés par les maisons d’édition traditionnelles. Néanmoins, ils font maintenant partie du groupe des auteurs Indés.

Preuve qu’il existe aussi incontestablement un grand nombre d’auteurs Indés qui sont d’excellentes plumes et pourraient procurer aux lecteurs un immense plaisir de lecture s’ils étaient connus des lecteurs potentiels ce qui nécessiterait une opération marketing. L’auteur Indé publie sur des plateformes comme Amazon, Kobo, iBook avec la part du lion du marché, récupérée par la première. Pour faire connaître ses écrits, il peut faire du marketing sur les réseaux sociaux, dans les groupes de lecteurs, par exemple, et espérer générer assez de ventes pour entrer dans le magique Top 100 d’Amazon. Ainsi son livre sera-t-il lu et peut-être aura-t-il la chance de récolter quelques commentaires positifs, ce qui entraînera d’autres clients/lecteurs à acheter son livre, éventuellement le lire et dans le meilleur des cas l’apprécier. Ainsi pourra-t-il se constituer un groupe de fidèles lecteurs. Le groupe inconditionnel de fans qui suivent leur auteur quoiqu’il écrive et publie étant l’un des mythes dont se berce volontiers l’auteur Indé. Un des autres grands mythes est de croire qu’une maison d’édition traditionnelle ferait un marketing monstre pour un auteur inconnu à son premier roman. Cela s’est vu, se voit et se verra, mais ce n’est pas la règle et reste d’une rareté extrême pour ne pas dire négligeable dans le cadre qui nous occupe.

Mythification et mythes

Par ailleurs, la mythification dans la communauté des Indés est savamment entretenue par quelques histoires à succès répétées ad aeternam : l’auteur de 50 nuances de Grey n’a-t-elle pas commencé par s’autopublier ? Telle auteur n’a-t-elle pas été remarquée par tel éditeur après avoir vendu plusieurs milliers de livres sur Amazon ? Proust, Cocteau et tant d’autres n’ont-ils pas débuté par l’autopublication ? Autant de mythes en passe de devenir – s’ils ne le sont déjà – les légendes de référence de l’autoédition et des Indés.

Subséquemment, tensions, dilemmes insolubles et conflits intérieurs sont le lot quotidien de l’auteur Indé – moins indépendant que l’on pourrait le croire et qu’il ne veut le dire –, prisonnier d’un rêve vivace et si coriace à rejoindre. Même celui qui préfère garder sa prétendue indépendance songe en secret à être contacté par un « grand éditeur » pour avoir le plaisir de décliner la proposition. Quel panache de pouvoir dire : « J’ai refusé l’offre de Gallimard ou de Laffont » (la deuxième maison prônant plus l’effet de buzz que la première). Cette position étant si convoitée que certains auteurs Indés n’hésitent pas à fantasmer haut et fort, et parfois à tort et à travers, s’être vu proposer par une « grande maison d’édition » (jamais par une petite maison honnête !) un contrat mirifique et l’avoir rejeté.

Néanmoins, sans cette dissonance cognitive, la communauté des Indés ne pourrait continuer à s’épanouir. Comme pour toute communauté, il s’agit là d’un atout essentiel à sa survivance, les croyances contradictoires étant aussi vitales à son bien-être que les valeurs incompatibles qui l’agitent.

 

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mai 22, 2016 By mlc

Ebookivore 2015, un ebook indispensable

ebookivorePour les lecteurs en quête de ebook

Vous avez une liseuse Kindle et il y a tellement d’auteurs et de livres inconnus au format ebook que vous ne savez pas trop quoi choisir. Voilà un petit bouquin à 0,99 € qui pourra certainement vous aider. Personnellement, je l’ai consulté plusieurs fois pour y trouver des noms d’auteurs et j’ai été étonnée de tous ceux que je ne connaissais pas encore. Cela m’a permis de faire de très belles découvertes et de passer de très bons moments de lectures. 
Bien entendu, les chroniques sont celles des auteurs de cet ouvrage et ce n’est pas toujours celle que vous attendriez, néanmoins c’est un petit guide précieux pour qui débute dans la lecture sur liseuse Kindle (ou autre) et aussi pour le lecteur assidu qui parfois aime en savoir un peu plus sur le livre qu’il va choisir.
 
« Car lire est un partage, trois lecteurs passionnés d’eBooks ont décidé de vous faire part de leurs découvertes, de leurs coups de cœur et de vous concocter ce petit guide pratique… Il contient toutes les chroniques qui sont parues en 2014 sur la page Facebook « l’eBookivore ». C’est une page entièrement dédiée aux lecteurs avides de nouveautés !

Vous y trouverez des accès à trois pages « facebook » pour vous tenir informés des actus et des chroniques publiées fréquemment et gratuitement, 


Et surtout, dans cet eBook, plus de 100 kindles sont chroniqués ! Près de 70 pages auteurs référencés parmi des indépendants… pour que chaque lecteur puisse trouver la lecture qui lui corresponde. »
Un des grands avantages de et ouvrage sont aussi le nombre impressionnant de rubrique dans lesquelles sont classés les genres d’ebook.
Parmi les rubriques d’ebook référencés, vous trouverez:
Récits humoristiques,
Séries littéraires,
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Science-fictions,
Recueil de nouvelles,
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Essais et réflexions,
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mai 16, 2016 By mlc

André Breton, Nadja, petite fiche de lecture

André Breton, Nadja,Autobiographie

Dans Nadja, nous retrouvons plusieurs aspects du récit avec, entre autres, des éléments autobiographiques, des réflexions sur la morale et la philosophie, des commentaires sociaux et des confidences très personnelles. Cependant nous pouvons l’appeler autobiographie car une grande part du récit consiste en le journal de Breton et il réfère à un moment précis de sa vie. Moment où Breton commençait à vraiment s’insérer dans la réalité historique du Surréalisme. Breton est lui-même dans Nadja. Il est un homme dont la vie se confond avec la carrière littéraire. Le fait que Nadja ait vraiment existé motive le choix de cette période plutôt qu’une autre et aussi le fait que Nadja ait été l’une des rencontres déterminantes dans sa vie. L’accumulation des notations temporelles non indispensables montre aussi le caractère autobiographique de l’œuvre en cela qu’elle en accroît la crédibilité.

Qui suis-je ?

En un sens Breton trouve une réponse à cette sempiternelle question puisqu’il découvre à la fin du livre qui il est réellement : un Surréaliste et surtout un homme pour qui l’amour fou compte plus que tout. D’un autre côté, il ne le sait toujours pas puisqu’il hésite encore, qu’il a des remords. Néanmoins, le livre se termine sur une certitude : « La beauté sera convulsive ou ne sera pas. » Alors la réponse n’existe que dans de brefs instants. « Qui suis-je ? » Question cruciale dont la réponse reste malgré tout plus ou moins énigmatique et sujette aux aléas de la vie.

 L’histoire d’une quête de soi

Par sa présence, Nadja aide Breton à se découvrir. Elle a un rôle révélateur pour lui et l’expérience avec elle lui redonne le sens de la vie car à travers ou par elle, il a compris que la vie se trouvait dans cette vie-ci et non dans l’au-delà.

« Qui vive ? Est-ce vous Nadja ? Est-il vrai que l’au-delà, tout l’au-delà soit dans cette vie ? Je ne vous entends pas. Qui vive ? Est-ce moi seul ? Est-ce moi-même ? » Par sa présence, Nadja justifie aussi la quête de Breton et elle l’aide à se voir et à se situer par rapport à lui-même. Et une fois son rôle achevé d’initiatrice, de révélatrice, elle disparaît. Breton s’est développé du « Qui suis-je ? » initial au « Qui vive ? » sur lequel se termine leur aventure qui se détache de Breton malgré que la voix qui l’anime puisse encore s’élever.

Le destin de Nadja

Nadja devra être internée ayant sombré dans la folie. Breton s’interrogera car il n’avait pas vu la maladie la gagner. A partir de ce moment, il a la certitude encore plus aiguë de l’existence de limites à ne pas transgresser, d’un certain garde-fou qu’il n’est pas bon d’enjamber. D’un côté, il condamne les psychiatres et les juges, les prisons et les asiles et refuse une manière de vivre imposée par la société ; de l’autre, il condamne tout aussi durement l’homme qui supporte son asservissement. Avec Nadja, il a pu goûter à la tentation de mener une vie surréaliste, toute de risque et de disponibilité. Il a connu « le principe de subversion totale » mais, le destin de Nadja lui en fait voir les conséquences possibles.

Les « faits glissades ».

Françoise Calin décrit les « faits-glissades » comme des événements qui en amènent inéluctablement d’autres. Les faits glissades sont moins forts que les faits-précipices. Par exemple, la rencontre avec Nadja est un fait-précipice en lui-même, mais devient un fait-glissade par rapport à la rencontre avec le « tu » de la fin du livre. Un fait-glissade peut donc être un fait-précipice qui se transforme en intensité. Toutefois, il ne peut être aussi que cela. Par exemple : voir les panneaux « Bois et Charbons » sont des faits-glissades. Ce sont des signaux « des faits de valeur intrinsèque sans doute peu contrôlable qui échappent à notre compréhension et qui ont toutes les apparences d’un signal, sans qu’on puisse dire au juste quel signal ». Leur hiérarchie dépend de l’effet qu’ils produisent sur nous.

Les mots « faits-glissades » et « faits-précipices » annonçaient le danger de « couler à pic » nous dit Françoise Calin car c’est plonger dans le noir, dans l’inconnu que de partir dans cette « descente vertigineuse en nous » menant vers la « zone interdite » zone que Nadja a transgressé trop de fois pour revenir. Une chose très importante : les « faits-glissades » et les « faits-précipices » ne peuvent être provoqués. Ils surgissent du hasard objectif qui nous met en rapport avec l’inconscient.

 La mémoire et le souvenir

La mémoire est ensevelie dans le gant de la main et « le Surréalisme vous introduira dans la mort qui est une société secrète. » Le gant est fourni par le Surréalisme. « M » est la lettre initiale de « mort » et de « mémoire » qui est involontaire pour Breton en cela qu’elle joue un rôle associatif. Au gré de sa fantaisie, elle conduit l’homme, son sujet. Néanmoins, avec beaucoup de discipline, il peut arriver à l’apprivoiser, mais jamais à la dompter complètement. En cela, la mémoire joue un grand rôle dans l’autobiographie de Breton puisqu’elle s’arroge le droit d’y faire des coupures, de ne pas tenir compte des transitions tout comme dans le rêve. Le souvenir, quant à lui, joue un rôle déterminant : c’est en souvenir de Nadja que Breton écrit ce récit, deux ans après leur rencontre.

 « La vraie vie »

Pour Breton, la « vraie vie » est la vie surréaliste. Il ne retient que ce qui est important. C’est une manière de vivre où l’on est ouvert et réceptif au hasard objectif. La « vraie vie » suppose une disposition d’esprit permettant de s’ouvrir aux rencontres.

Les endroits surréalistes

Il y a dans Nadja plus de soixante lieux ou établissements parisiens de mentionnés. Breton ne les décrit pas souvent, il se contente uniquement de les nommer la plupart du temps. Le Marché aux Puces de la Porte Saint Ouen est un lieu « surréaliste » car, avec l’ouverture d’esprit nécessaire, on peut y découvrir des trucs ou des personnes comme la petite fille qui déclame Rimbaud ou le cendrier-cendrillon.

Le « surréel » et la « surréalité »

La Surréalité est pour ainsi dire la synthèse du réel et de l’irréel, une synthèse momentanée qui prend place lorsque les deux mondes se touchent. C’est une expérience qui surgit du contact avec la réalité. « Avoir l’aigrette aux tempes » est l’expérience physique de la surréalité pour Breton. La surréalité dépend de notre inconscient, de la compagnie dans laquelle nous nous trouvons et de ce que le hasard nous fait rencontrer de la réalité.

Breton a dit « Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l’on peut ainsi dire. »

Le surréel, en revanche, est ce qui est au-delà du réel, c’est le merveilleux qui s’oppose aux contingences du quotidien.

André Breton, Nadja, Gallimard, 1964

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