octobre 26, 2015 By mlc

Jack Higgins, Justice sommaire

 

HigginsLe terreau des romans d’espionnage, la guerre froide entre l’Est et l’Ouest semble depuis longtemps terminée. Les amateurs se souviennent certainement du grand classique de Tom Clancy Le Cardinal du Kremlin. Les bons s’y battent contre les méchants dans une guerre des mondes où les arcanes de la connaissance des armes technologiques peuvent changer l’équilibre des forces mondiales. Une course effrénée pour la construction d’une arme à laser. CIA versus KGB. Tous les coups sont permis pour s’emparer des secrets de l’autre. Dans les plus hautes sphères du pouvoir, les taupes règnent.

Justice sommaire de Jack Higgins (pseudonyme de Harry Patterson) reprend à son compte la bataille des géants dans une intrigue légèrement parodique du genre. Les méchants ce sont les Russes, of course. Avec Poutine, bille en tête, les services d’espionnage russe, le GRU contre l’Ouest représenté par les services britanniques et le président des Etats-Unis.

Le « grand jeu » débute au Kosovo dans le village de Banu, « quelques maisons en bois de part et d’autre de la grand-rue, une poignée de bâtiments, un peu plus loin, qui ressemblaient à des corps de ferme, et une petite rivière enjambée par un pont en bois posé sur de gros blocs de granite. Il y avait aussi une construction en bois surmontée du croissant musulman, manifestement la mosquée, et enfin une auberge devant laquelle était garé un imposant blindé léger. » Blake le représentant des USA et Miller celui de la Grande-Bretagne y vont voir de plus près.

Des soldats russes ont traversé la frontière, en dépit des accords passés avec les forces internationales et se restaurent à l’auberge, ce qui en soi ne serait pas si dramatique s’ils n’avaient, de toute évidence, l’intention de commettre des exactions sauvages : « L’auberge avait toutes les caractéristiques des établissements traditionnels de la région : plafond à poutres apparentes, parquet de bois brut, quelques tables çà et là et un long comptoir derrière lequel bouteilles et verres s’alignaient sur des étagères. Une quinzaine d’hommes étaient accroupis par terre le long du comptoir, les mains derrière la nuque, tenus en joue par deux soldats russes. Un sergent se tenait derrière le comptoir ; le pistolet-mitrailleur à portée de main, il buvait au goulot d’une bouteille de vodka. Deux autres soldats étaient assis sur un banc de l’autre côté de la salle, deux femmes agenouillées devant eux. L’une d’elles sanglotait. » Au pays des barbouzes, on tire d’abord et on interroge après. Blake et Miller ne dérogent pas à cette règle d’or et éliminent les Russes, sans états d’âme, aucun.

Théoriquement, les Russes n’auraient pas dû se trouver de ce côté-ci de la frontière et leur gouvernement ne peut porter plainte sans trahir ce fait qu’ils veulent garder secret. Toutefois, les conséquences seront d’envergure car la mort engendre la mort et la vengeance. Les Anglais font appel à Sean Dillon pour résoudre cette affaire où viennent se mêler, terrorisme, trafic d’armes et assassinat. Afin que le bourgeois dorme en paix, des hommes assument les sales besognes pour en empêcher d’autres de détruire la planète : « “L’objectif du terrorisme, c’est de terroriser.” Il n’y a qu’avec le terrorisme que les petits pays peuvent s’attaquer à des pays plus grands qu’eux avec le moindre espoir de réussite. – C’est Lénine qui a dit ça le premier. Et le système a été mis en pratique, avec des conséquences douloureuses pour l’ensemble du monde, pendant de longues années. D’ailleurs ce n’est pas terminé. » Dillon, l’Irlandais, en sait quelque chose.

Héros récurrent de Jack Higgins et un peu un amalgame des héros précédents de ses romans, du moins ceux pour qui la justice ne doit pas attendre les verdicts rendus dans les cours par juges et avocats, poète et philosophe, Dillon s’interroge parfois sur l’utilité des tueries. Ainsi en est-il dans Justice sommaire au moment de passer à l’action définitive :

« Dillon avait passé Warrenpoint, scène de l’une des plus grandes défaite de l’armée britannique face à l’IRA dans toute l’histoire des Troubles. Il franchit la frontière et entra dans le comté de Louth, en République d’Irlande, au nord de Dundalk, sans le moindre problème – et sans aucun contrôle policier. Il s’arrêta quelques instants au bord de la route et repensa à cette frontière vingt ans plus tôt : la police, les soldats, les baraquements… Tout avait disparu. La frontière n’était plus qu’une ligne symbolique, marquée par un panneau au bord de la route. À quoi bon ce conflit, ces tensions, ces combats d’autrefois ? se demanda-t-il. Assis là, dans la Ford Anglia, il fut soudain la proie d’un profond sentiment de détresse. »

Tout au long du livre, le camp des Anglais triomphe en essuyant de minimes revers dans l’ensemble. Pas étonnant les Russes sont portraiturés en idiots. Avec des noms étrangement synonymes à ceux de l’actualité récente et moins récente, ils ne connaissent même pas les leurs :

« Le Falcon se posa en douceur. Les passagers étaient prêts à débarquer lorsqu’il s’immobilisa près du petit bâtiment de l’aérodrome. Le copilote, Elstine, ouvrit la porte et baissa les marches. Volkov descendit sur le tarmac, suivi de Grigorin et Makeev qui portait les bagages. Un homme vint à leur rencontre au pas de charge avec un parapluie. La porte du Falcon se referma ; l’avion se remit aussitôt à rouler sur la piste.

– Qui êtes-vous ? demanda Volkov en anglais.

– Igor Pouchkine, Monsieur Petrovski, répondit l’homme d’un air hésitant, puis il ajouta en russe : Mais je sais qui vous êtes. Je suis le responsable du contrôle aérien de la base. Je vous ai déjà vu à Moscou, au complexe Belov.

– Un Russe, dit Volkov en souriant. J’ignorais que nous avions des Russes ici. Très négligent de ma part. Allons à l’intérieur. » Une négligence – et quelques autres – qui lui coûtera la vie.

Malgré des caractères peu dessinés et des personnages superficiels, les cinq cent vingt pages se lisent facilement et Justice sommaire reste un bon roman d’espionnage où l’auteur se joue des clichés du genre avec maestria. Jack Higgins garde la main à la plume et sait toujours entrainer son lecteur dans un parcours échevelé et rocambolesque prodigue en rebondissements.

Jack Higgins, Justice sommaire, Albin Michel, 2010, traduit de l’anglais par Pierre Reignier, 521 pages, 22,50 €

 

 

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octobre 20, 2015 By mlc

Les Bienveillantes, roman de Jonathan Littell

bienveillantesÀ la sortie de son pavé, Jonathan Littell n’en n’est pas à son coup d’essai. En 1989, il avait déjà publié en anglais Bad voltage, un roman de science fiction évoluant dans un monde virtuel. Puis plus rien de fictionnel jusqu’à la sortie en 2006 du monumental Les Bienveillantes, dont le titre renvoie à une tragédie d’Eschyle, Les Euménides. Bourré de données factuelles, le lecteur est plongé dans le marasme des atrocités perpétrées lors de la Seconde Guerre mondiale – majoritairement – par les nazis d’Allemagne, mais aussi par les Hiwi (Hilfswillige), les auxiliaires russes, « volontaires » pour la plupart, présentés ainsi par Aue, le narrateur : « Pourtant j’avais aussi remarqué parmi les soldats de nombreux Russes en uniforme allemand avec le brassard blanc des Hilfswillige. “Les Hiwi” ? ». Aue décrit l’abjection la plus complète : la solution finale du problème juif (Endlösung des Jungenfrage), les groupes d’opérations mobiles de tueries (Einzatgruppen), les exécutions « à ciel ouvert » « la Shoah par balles), les camps d’extermination et les chambres à gaz, les chambres à gaz mobiles (Gazwagen), les fours crématoires, les marches de la mort.

En fait, ce n’est pas la première fois qu’un bourreau nazi est le narrateur d’un ouvrage sur ces horreurs, la plupart des critiques rapprochent le roman de Littell de La mort est mon métier de Robert Merle, mais Les Bienveillantes areçu le prix Goncourt et le Grand prix du roman de l’Académie française et déclenché une effervescence sur fond de polémique dans le monde de l’édition et bien au-delà. « Figure faustienne » pour les uns, Aue est un narrateur peu crédible pour les autres. Toutefois, beaucoup s’accordent à reconnaître l’immense travail de documentation réalisé par l’auteur. Littell se soucie peu des connaissances linguistiques de son lecteur. Les sigles, les abréviations et les grades de l’armée en allemand lui battent les yeux. D’autre part, on peut s’interroger sur la valeur d’une traduction qui ôterait très certainement beaucoup de l’originalité à l’œuvre sans – nécessairement – apporter une plus grande compréhension au lecteur.

À condition de passer outre l’accumulation de particularités (homosexualité, bilinguisme, inceste, matricide supposé et meurtrier avéré) d’un narrateur loin de la banalité quotidienne, le liseur patient et persévérant, après la lecture des 900 pages (1400 en poche) peut découvrir, si ce n’est lumière sur les crimes de l’humanité, au moins une réflexion et le désir d’en savoir davantage. En cela, le roman de Littell remplit une fonction méritoire…

Jonathan Littell, Les Bienveillantes, Gallimard, 2006, 907 pages, 25 € (aussi disponible en Livre de poche)

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octobre 19, 2015 By mlc

Svetlana Alexievitch, le Nobel pour faire ch… Poutine

svetlana alexievitchSvetlana Alexievitch a reçu le prix Nobel de littérature 2015. Cela peut en surprendre quelques-uns qui connaissent ses livres plus proches du journalisme que de la littérature. Mais, qu’est-ce que la littérature, n’est-ce pas? Il fut un temps où les livres de témoignages n’en faisaient pas partie. Maintenant, apparemment, si et la non-fiction fait une entrée fracassante en littérature.

Toutefois, Svetlana Alexievitch s’exerce à une littérature du témoignage un peu particulière. Recueillant de nombreux témoignages sur un certain sujet, elle les transforme et leur fait dire un peu ce qu’elle aurait aimé qu’ils disent. A ce sujet, deux chercheurs, Galia Ackerman et Frédérick Lemarchand, professeur de littérature à Caen, ont publié un article édifiant intitulé: «Du bon et du mauvais usage du témoignage dans l’œuvre de Svetlana Alexievitch». Pour lire cet article, il suffit de consulter la revue « Tumultes » 2009/1 (n° 32/33), que l’on peut lire dans son intégralité à: https://www.cairn.info/revue-tumultes-2009-1-page-29.htm. Les deux chercheurs posent quelques questions très pertinentes sur la pratique de réécriture de l’auteur couronné.

Crédits photo: © Mehmet Kaman / Anadolu Agency

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octobre 14, 2015 By mlc

Paridaiza, un roman de Luis de Miranda

luisEn 2012, l’ennui est le fléau majeur frappant les couples au quotidien. Pour échapper au désenchantement, Nuno et son amie Clara se réfugient dans le monde de Paridaiza, premier jeu de simulation totale, où les cinq sens sont captivés dans cette réplication virtuelle de la planète. Chacun peut créer son propre avatar et accéder ainsi à une vie bien plus excitante que ce qu’il vit journellement. « Pour beaucoup, le Paridaiza de l’Internet, avec sa façon sans précédent d’enivrer les sens, est devenu la paradis artificiel suprême, une drogue-rêverie, une façon troublante de relâcher les tensions en se démultipliant, de faire des rencontres et des expériences surprenantes. Et apparemment sans danger ». Mais le sont-elles vraiment ? Nuno, depuis qu’il se connecte jour et nuit sur ce domaine, commence à se sentir drôle dans sa tête et « rêve, virtualité, réalité se fondent depuis quelque temps en une chorégraphie hypnotique. Comme si la logique classique s’avérait de plus en plus impuissante ». Pour le lecteur, trois mondes au moins se superposent le monde « réel », appelé Biearth, où évoluent Nuno, Clara et les autres, le monde virtuel de Paridaiza où leurs avatars se retrouvent et le journal intime de Nuno offrant la vision de sa réflexion et ses idées. Luis de Miranda signe un roman construit de manière magistrale emmenant son lecteur là où balançant sur le fil de la virtualité, il peut en capter les enjeux et éventualités.

Né en 1971, Luis de Miranda a publié divers romans et essais : Le Spray (2000), A Vide (2001), Ego trip, la société des artistes sans oeuvre (2003). Avec Paridaiza, roman d’anticipation poétique, il livre un texte onirique et singulier.

Luis de Miranda, Paridaiza, Plon, 18,90 €

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septembre 28, 2015 By mlc

Katrina Kalda, Arithmétique des dieux

Kalda dieuxLe premier roman de Katrina Kalda, Un roman estonien, était un pur joyau à découvrir ; le deuxième, Arithmétique des dieux, est un bijou. Bien que le début laisse pressentir une fin tragique, cette fin est tout de même une surprise. C’est une vraie jubilation que de se laisser porter par le chassé-croisé des destinées livrées au papier. Ce qui séduit chez Katrina Kalda, c’est son écriture, son maniement de la langue où se devine son amour pour le français. Lettres de camp et journal intime s’enchevêtrent pour le plus grand plaisir du lecteur qui découvre un monde inconnu: celui des Lettres estoniennes dont un grand nombre de titres émaille les pages. L’univers carcéral sibérien dans la région de Tomsk lui apparaît sous un jour nouveau s’il le connaissait déjà. Kalda évite les sirènes de la facilité et nous attendons avec un plaisir anticipé son prochain roman.

Katrina Kalda, Arithmétique des dieux, Gallimard, 2013, 214 pages, 16,90 €

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