mai 15, 2016 By mlc

Marguerite Duras, L ‘Amant, petite fiche de lecture

Marguerite Duras, L 'AmantLa mémoire

Comme le dit Michael Scheningham, la mémoire dans L’Amant est principalement liée au désir d’une manière inextricable. D’autre part, on peut voir dans ce livre que pour Duras la mémoire photographique fait partie de la mémoire autobiographique. L’auteur va jusqu’à penser, inventer pourrait-on presque dire, une photographie qui aurait pu exister et qu’elle place au début du récit pour souligner l’importance de la traversée sur le bac. La mémoire est autoréférentielle et surtout liée à l’écriture car Duras se rappelle les souvenirs qu’elle a couchés sur le papier ce qui leur confère l’authenticité. Le fait qu’ils soient écrits est plus important que de savoir s’ils ont véritablement eu lieu. Ils sont écrits et cela leur donne une existence réelle. Pour Duras, la mémoire passe par l’écriture.

La focalisation

Duras change plusieurs fois de perspective au cours de son livre et très souvent à un moment où le lecteur s’y attend le moins. Par exemple, dans la première scène d’amour avec l’amant, elle passe du pronom personnel de la première personne au substantif (l’enfant) ce qui produit une distanciation. Le « je » est la proximité et le substantif la distance. Sans cesse un changement de focalisation a lieu quelquefois dans les moments les plus intimes, comme si la narratrice n’était pas impliquée. En fait, c’est un style qui cherche à cerner le point crucial (jouissance, désir, mort) qui sont des thèmes Durassiens.

Quelques personnages

La mendiante se retrouve dans plusieurs livres de Duras : Un barrage contre le Pacifique et dans Le Vice-Consul. Une particularité de la mendiante est sa folie, elle a un comportement déviant qui suscite une certaine angoisse. La mendiante est en quelque sorte un alter ego de la mère en cela que cette dernière est également folle et inspire à l’enfant une peur. Bien que la situation de la mendiante diffère de celle de la mère, elles vivent toutes les deux en marge de la société coloniale. La mère et la mendiante sont toutes les deux incapables de s’occuper de leurs enfants d’une manière adéquate.

Hélène Lagonnelle est le seul lien de la jeune fille avec la société blanche des tropiques, elle est la seule qui lui parle car on tient la jeune fille à l’écart. Les « demoiselles de bonne famille » ne doivent avoir aucun contact avec la « petite prostituée blanche du poste de Sadec » qu’elle est devenue. Cependant, en Hélène Lagonelle, elle a une amie qu’elle aimerait faire profiter de son expérience en voulant lui céder l’amant chinois. Elle voudrait qu’Hélène puisse faire l’amour avec le Chinois et connaître comme elle le désir. Le fait qu’elle aimerait alors regarder est moins un acte de perversité que d’amitié.

Les mythes

Si on pense à un mythe de la Bible, c’est bien sûr à Eve et Adam et le fruit défendu. La transgression de l’interdit qui est très fort dans L’Amant : l’interdit pour une jeune fille de faire l’amour avant d’être mariée, l’interdit racial, il s’agit d’une jeune fille blanche ayant des rapports sexuels avec un Chinois et aussi le fait qu’elle accepte de l’argent de cet homme ce qui donne une forte connotation de prostitution à leurs relations. On peut aussi voir le mythe d’Orphée si on garde la traversée du Mékong comme un passage initiatique, auquel cas la jeune fille est Orphée. Elle regarde de trop près le désir en la personne du Chinois, une métaphore d’Eurydice, et finalement elle doit partir seule et laisser le Chinois derrière elle, prisonnier de la ségrégation raciale ou l’enfer. Caïn et Abel pourraient représenter les deux frères. On peut aussi voir le mythe de Médéa en la mère, qui sacrifie ses enfants à son opiniâtreté. Ulysse aussi qui fait un grand voyage d’initiation, Iphigénie et Oreste. Des bribes de mythes surgissent en beaucoup d’endroits. Comme tous les mythes, on ne sait où ils commencent ni vraiment d’où ils proviennent ! En utilisant des substantifs, la mère, la jeune fille, l’enfant, le petit frère et d’autres, Marguerite Duras crée une structure mythique avec une sorte de Lolita, séductrice. Quoi qu’il en soit, Marguerite Duras écrit une histoire universelle, transcendant la réalité banale d’une situation quotidienne. C’est une sorte de circuit que l’on retrouve dans son œuvre, un circuit qui prime sur la réalité extérieure à l’écriture.

Le thème de l’eau

L’eau joue un très grand rôle dans cette structure mythique. Tout d’abord, bien sûr, la traversée du Mékong et ensuite le paquebot qui l’emmènera en France, qui vogue sur l’eau et la mousson qui éclate. A chaque passage important, le rite de passage, on retrouve l’eau. Les amants se douchent longuement comme pour se purifier du monde extérieur et se retrouver dans la pureté de l’innocence de l’amour qui les unit, même si la jeune fille n’est pas vraiment certaine de ses sentiments, ceux du Chinois sont clairs. La maison aussi qui est lavée à grande eau chaque fois que le grand frère est absent, comme pour la purifiée de sa présence par trop démoniaque.

La narratrice et sa mère

L’attitude de la narratrice envers la mère oscille entre l’amour et la haine, amour et dégoût. On retrouve dans cette relation tous les éléments d’une symbiose où l’enfant, bien qu’il y aspire, ne peut encore se détacher complètement de la figure maternelle. Un problème de communication qui se traduit par une crise du langage. Les personnages, non seulement la mère et l’enfant, mais aussi les frères se ressemblent. Cependant, la mère n’a jamais connu la jouissance, elle en est malgré tout curieuse ce qui explique aussi en partie la tension et l’ambivalence de la relation entre l’enfant et la mère.

Le pacte autobiographique

A sa parution, L’Amant a été tout de suite relié à la vie de l’auteur et Duras elle-même en a souligné l’aspect autobiographique. Au début du livre, la narratrice dit explicitement « Il faut que je vous dise encore, j’ai quinze ans et demie ». Elle écrit cette phrase dans l’oralité de l’écriture, nous faisant par la même occasion remarquer que son visage est ravagé par l’alcool. Nous savons que Marguerite Duras avait une grande attraction pour l’alcool et aussi qu’elle a vécu sa première jeunesse aux colonies. Ces faits sont pour nous une raison de regarder ce texte comme un récit autobiographique. Mais l’œuvre entière de Duras contient des renvois auto textuels, ce qui n’est pas une qualité exclusive du genre autobiographique comme le souligne Jeannette M. L. den Toonder. Elle nous dit encore que cette manière de procéder montre que Duras aspire à effacer les limites entre les genres. Il y a le moment de la découverte de la vocation qui surtout nous incite à voir le pacte autobiographique dans ce livre. Au moment où la petite fille découvre l’amour, elle sait avec certitude qu’elle veut écrire. C’est par et à travers l’écriture qu’elle découvre et cherche son identité. L’écriture en tant que telle est vitale. Elle désamorce le langage courant pour atteindre la profondeur. Duras recherche la vérité, elle veut saisir l’insaisissable, cette réalité psychique enfouie au plus profond d’elle-même.

Rite de passage

Le rite de passage ou l’initiation est une aventure mystique. Pour vivre cette aventure, cette initiation, l’isolation de l’individu est d’importance capitale. L’auteur réfère à l’isolation de l’enfant dans cette société coloniale où elle est mise au ban de la société, déjà avant d’avoir vécu son aventure amoureuse. C’est parce qu’elle est isolée qu’elle peut la vivre. Entourée par sa famille et la société, l’expériment n’aurait pu lui arriver. Dans l’initiation, ce rituel anthropologique, l’eau joue un très grand rôle tout comme dans ce récit. Principalement dans les scènes où les amants se douchent pour se purifier du monde extérieur avant de s’unir. La narratrice est curieuse du rituel, elle va de l’avant. Cette aventure fait partie de sa quête d’identité. Elle se découvre en performant cet acte sexuel puisqu’elle sait alors ce qu’elle veut. Elle analyse ses sentiments, la situation, le décor, son partenaire, son désir et elle apprend à se distancier tout à la fois. Elle ressort encore plus pure de cette expérience. La souillure de la prostitution ne l’atteint pas. Cela ne fait pas partie de son monde à elle qui est au-delà des apparences comme les voit la société coloniale. Son monde, c’est l’invisible, l’ineffable, le désir omniprésent sans que l’on puisse le décrire, ni l’écrire, ni le créer. Tout comme l’esprit comparable au morceau de sucre immergé dans une tasse d’eau. L’eau devient sucrée et le sucre a disparu. Pourtant sa présence est indéniable. Le goût de l’eau l’authentifie. L’écriture authentifie le désir chez Duras ainsi que sa quête d’identité présente sous et dans chaque parole, chaque mot, chaque lettre écrits.

L’accoutrement symbolique

Peut-être devons nous rechercher la signification de l’accoutrement dans le voyage initiatique lié à l’expérience de la jeune fille. En effet, avant son départ pour la quête initiatique le novice reçoit des habits spéciaux qui l’accompagneront dans son voyage et lui permettront d’être reconnu comme tel par ceux qu’il rencontrera. Que l’on pense aux robes blanches des mariées qui commenceront une vie nouvelle au lendemain de leurs noces ou celles des petites communiantes dans l’église catholique ! Mais aussi, par exemple, aux plumes d’oiseaux réservées à cet effet de différentiation chez les Dogons ou certains peuples de l’Amazonie. L’enfant porte un chapeau comme aucune femme n’en porte en Indochine. Duras met l’accent sur le chapeau et les chaussures. Deux objets fétichistes de l’habillement de la femme et non pas d’une jeune fille de quinze ans à l’époque. L’enfant est vouée à un sort unique, divergeant totalement de celui des autres femmes de son environnement. Ces dernières sont promises au mariage, à l’ennui, au malaise, à la mort, à l’absence de désir ou du moins de sa satisfaction, à l’abandon souvent. Un sort totalement dissemblable attend l’enfant. Son accoutrement la différentie de toutes les autres femmes. Elle est choisie. L’élue sacrifiée renaîtra purifiée, libérée des interdits et des tabous de cette société.

 Marguerite Duras, L ‘Amant, Editions de Minuit, prix Goncourt 1984

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mai 15, 2016 By mlc

Olga Tokarczuk, Les Pérégrins

Olga Tokarczuk 1Les Pérégrins est sans aucun doute un livre merveilleux dans le sens que l’on donne aux contes d’enfants. En effet, Olga Tokarczuk, romancière polonaise la plus célèbre de sa génération, emmène son lecteur dans un univers où le voyage est une pérégrination, intérieure et extérieure, à la rencontre de l’autre comme le signale le sens premier de sa signification.

« “Alors, remue-toi, balance-toi, cours, file ! Si t’oublies ça, si tu t’arrêtes, il va t’attraper avec ses grosses pattes velues et faire de toi une marionnette. Il t’empestera de son haleine qui sent la fumée, les gaz d’échappement et les décharges de la ville. Il va transformer ton âme multicolore en une petite âme toute raplapla, découpée dans du papier journal.” La clocharde du métro de Moscou qui parle ici appartient aux Bieguny (les marcheurs ou pérégrins), une secte de l’ancienne Russie, pour qui le fait de rester au même endroit rendait l’homme plus vulnérable aux attaques du Mal, tandis qu’un déplacement incessant le mettait sur la voie du Salut ».

Rester sur place signifie la stagnation, la régression. Pour grandir, il est nécessaire d’aller de l’avant, sans peur et sans reproche. Au fil des pages, il est aisé de comprendre que ce livre peut difficilement se placer dans une catégorie existante. Le lecteur visite, tout à tour, des salles d’aéroports, d’attente, des chambres d’hôtel, des musées ; il déchiffre des cartes, des graphiques dont il pourrait regretter de ne pas les lire en couleurs n’était-ce cet air vieillot qu’ils confèrent à l’ensemble. Olga Tokarczuk, offre une vision, sa vision, de la littérature dans des paragraphes troublants.

« Tous ceux qui, un jour, ont essayé d’écrire des romans savent à quel point c’est difficile ; il s’agit assurément de l’une des pires activités indépendantes.  Il faut rester tout le temps replié sur soi, enfermé dans une cellule individuelle, dans une solitude complète. Cela relève d’une psychose contrôlée, d’une paranoïa et d’une obsession attelées au travail.  Ainsi l’écriture ne nécessite ni plume d’oie, ni masque vénitien, comme on pourrait le croire, mais bien plutôt un tablier de boucher, des bottes en caoutchouc et un couteau à étriper ».

Née en 1962, Olga Tokarczuk a reçu le prix Niké (Goncourt polonais) pour Les Pérégrins à la fois le prix du jury et celui des lecteurs. Un voyage assuré pour le lecteur entreprenant, partant à la découverte d’un monde fabuleux, mystérieusement répertorié et cartographié par l’auteur où les passerelles abondent soutenues par d’énigmatiques réseaux de correspondances qui se révèlent à la lecture. Sans doute le meilleur livre d’Olga Tokarczuk.

 

Olga Tokarczuk, Les Pérégrins, Les éditions Noir sur Blanc, 2010, 381 pages, 24 €, traduit du polonais par Grażna Erhard

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avril 26, 2016 By mlc

Une tour pour les barzoïs: J’Ielyzaveta la première !

I'Ely sur la tourIely, Ialta et Guéguel adorent grimper sur des trucs pour voir plus loin ou même pour se reposer. Donc, pour leur donner entière satisfaction, nous leur avons construit une tour avec des palettes et une planche. Elles sont vraiment heureuses avec et bien sûr, Iély est monté la première dessus.

A la voir, on comprend tout de suite que cette nouvelle altitude est tout à fait à son goût. Ialta et Guéguel montent aussi dessus et parfois elles y vont toutes les trois y faire un somme. C’est bien confortable et avec le soleil du matin, c’est très agréable.

Devant l’immense succès de la construction, une deuxième va être mise en place d’ici peu de temps.

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mars 30, 2016 By mlc

Elen Brig Koridwen, Zone franche

zone-francheIl y a des romans qui sont absolument inclassables. Zone franche d’Elen Brig Koridwen en est un. Inclassable, il rassemble plusieurs genres littéraires à un niveau d’excellence rarement égalé parmi les ouvrages des auteurs Indés.

La description laisse espérer un roman plus ou moins à l’eau de rose. Pas qu’il faille décrier ce genre, non. Il peut en satisfaire plus d’un ou d’une en quête d’amour par personnes interposées. De ce genre, Zone franche a pris l’héroïne qui veut un homme et est prête à tout pour l’avoir. Totalement antiféministe ! Plutôt comme l’héroïne d’Ernaux dans Passion simple, où la femme est entièrement soumise à ses espérances, ses moments d’attente de l’Homme.

L’homme aussi pourrait faire partie de l’univers un peu sucré des harlequinades. L’homme fort, mystérieux, riche dont on ne sait pas d’où il tire ses revenus qui semblent sans fin. Cet homme-là, bien qu’il n’en soit jamais question, est l’aîné de l’héroïne. Il apparaît dans sa vie alors qu’elle n’est qu’une enfant.

L’homme inaccessible, blessé par des amours précédentes, effrayé de se lier et elle, la femme qui ne veut que son bonheur à lui, l’enchainer si possible dans les soins qu’elle aimerait lui prodiguer. Lui se moque gentiment.

Ces deux êtres dissemblables sont liés par une passion charnelle irrésistible que l’auteur nous décrit tout en finesses et subtilités, nous la fait ressentir jusqu’au plus profond de notre être.

Une passion assouvie, mais qui laisse toujours et encore sur la faim. Les amants se jettent dans les bras l’un de l’autre à toutes les occasions possibles. Voilà pour le sexe.

Du roman d’espionnage, l’auteur a tiré l’atmosphère, l’ambiance, le monde décalé que chacun de nous aime à imaginer. On frôle le danger, mais on n’y succombe pas.

En revanche, ce à quoi on succombe, c’est au style délicat, lettré sans cuistrerie, qui conduit une intrigue à épisodes tous plus inattendus les uns que les autres.

Oui, il y a des livres inclassables. Zone franche toutefois est à classer parmi les plus grands, ceux qu’il faut avoir lus, ceux qui laissent un souvenir doux et reconnaissant, de ceux dont les personnages nous deviennent des amis, des membres de famille que l’on quitte à regret.

Elen Brig Koridwen, Zone franche, sur Amazon Kindle:   amzn.to/1UBSnhN

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mars 23, 2016 By MLC

Lautréamont, Houellebecq. Une rencontre. Traces ducassiennes dans la prose houellebecquienne.

 

LautréamontIl n’y a pas de hasard dans l’art, non plus qu’en mécanique. [1]

Sans reprendre le débat suscité par les différences entre l’empreinte et la trace et leurs positions relationnelles au texte, nous nous proposons d’observer les traces ducassiennes dans le texte houellebecquien. Il en est souvent ainsi d’un livre, que nous aimons conjecturer sur son contenu mais, aussi sur les textes auxquels il nous fait penser : les intertextes, les hypertextes et les hypotextes. La rencontre est toujours celle du lecteur et des textes, rarement celle des textes ou des auteurs entre eux, fussent-ils contemporains. À plus forte raison lorsqu’un siècle ou plus les sépare.

Or, dans La Parole putanisée (2002), Michel Waldberg s’en prend violemment à Michel Houellebecq. « On ne s’improvise pas Lautréamont ni Ducasse » [2] résume la conclusion de son pamphlet. De toute évidence, nous ne pouvons que souscrire à une telle assertion. Toutefois, nous pensons d’égale mesure l’affirmation de l’impossibilité de s’improviser Houellebecq. En témoignent, en cette rentrée 2004, plusieurs épigones du romancier, tels, Fabrice Pliskin,[3] Simon Liberati, [4] Florian Zeller [5] et quelques autres. Si les auteurs, selon Sénécal [6], ne se montrent pas à la hauteur de Houellebecq, celui-ci n’aurait fait que pasticher Lautréamont, selon Waldberg. Ce qu’il tente de démontrer à grand renfort de citations. « Les rares fois où il renonce au plat pays de sa prose habituelle, Houellebecq se contente de pasticher – mal – Lautréamont. Il y a vers la fin d’Extension, plusieurs tartines de semblables approximations. » [7] Soyons précis. Un pastiche ne peut être une copie intégrale. Waldberg cite Houellebecq : « Après avoir hérissé ma pensée des pieux de la restriction, je puis maintenant ajouter que le concept d’amour, malgré sa fragilité ontologique, détient ou détenait jusqu’à une date récente tous les attributs d’une prodigieuse puissance opératoire. » [8] Ceci fait, il donne un paragraphe de Ducasse :

Pour construire mécaniquement la cervelle d’un conte somnifère, il ne suffit pas de disséquer des bêtises et abrutir puissamment à doses renouvelées l’intelligence du lecteur, de manière à rendre ses facultés paralytiques pour le reste de sa vie ; il faut, en outre, avec du fluide magnétique, le mettre ingénieusement dans l’impossibilité somnanbulique de se mouvoir, en le forçant à obscurcir ses yeux contre son naturel par la fixité des vôtres. [9]

Mis à la suite l’une de l’autre, pourquoi ces deux citations ? Difficile de répondre à la place de Michel Waldberg. Il n’explique en rien la signification de ce bout à bout plus ou moins forcé. Alors que peut-être la suite du texte de Ducasse pourrait nous amenés à une comparaison plus fructueuse : « Je veux dire, afin de ne pas me faire mieux comprendre, mais seulement pour développer ma pensée qui intéresse et agace en même temps […] » [10] Ne serait-ce pas aussi ce que beaucoup reprochent à Houellebecq justement : intéresser et agacer simultanément ? En somme, Waldberg pèche par où il veut prêcher comme le démontre la suite de son exposé pamphlétaire : « Rester vivant, l’un des premiers ouvrages de Houellebecq, d’abord publié aux éditions de la Différence, est un discours sur la méthode en quarante-huit pages, dont seize de texte, autant dire que l’auteur ne s’y est pas foulé. » [11] Pour reprendre un terme de l’auteur, Michel Waldberg ne s’est pas foulé non plus. Côté analyse, c’est plutôt léger, extrêmement léger devrions-nous dire. Alors que de la citation suivante il aurait pu faire ses choux gras :

Quoi qu’il en soit, l’amour existe, puisqu’on peut en observer les effets. Voilà une phrase digne de Claude Bernard, et je tiens à la lui dédier. Ô savant inattaquable, ce n’est pas par hasard si les observations les plus éloignées en apparence de l’objet qu’initialement tu te proposais viennent l’une après l’autre se ranger, comme autant de cailles dodues, sous la rayonnante majesté de ton auréole protectrice. [12]

En effet, cela aurait pu être à condition de définir la différence entre l’amour et le bonheur, puisque dans Rester vivant, Houellebecq déclare : « N’ayez pas peur du bonheur ; il n’existe pas. » [13] Waldberg aurait donc pu souligner la contradiction flagrante des deux assertions de Houellebecq s’il s’était seulement penché un tant soit peu plus profondément sur les textes houellebecquiens. Ne trouve-t-on pas, toujours sur le bonheur, dans Plateforme : « Je n’étais pas heureux, mais j’estimais le bonheur, et je continuais à y aspirer. » [14] Plus loin dans le même roman, le narrateur déclare : « C’est alors que je pris conscience, avec une incrédulité douce, que j’allais revoir Valérie, et que nous allions probablement être heureux. » [15] On le décèle à la lecture, les textes houellebecquiens pullulent de remarques plus ou moins contradictoires sur le bonheur. Toutefois, Walberg ne s’est pas penché plus avant sur les textes de Houellebecq. Au lieu de cela, il énumère et juxtapose, sans plus d’argument qu’au préalable :

Lautréamont : “ Vieil océan, ta forme harmonieusement sphérique, qui réjouit la face grave de la générosité ne me rappelle que trop les petits yeux de l’homme, pareils à ceux du sanglier pour la petitesse, et à ceux des oiseaux de nuit pour la perfection circulaire du contour. Cependant l’homme s’est cru beau dans tous les siècles. Moi, je suppose plutôt que l’homme ne croit à sa beauté que par amour-propre ; mais qu’il n’est pas beau réellement et qu’il s’en doute ; car, pourquoi regarde-t-il la figure de son semblable avec tant de mépris ? Je te salue, vieil océan. ” [16]

Quel rapport, en effet, entre l’océan de Lautréamont et Claude Bernard de Houellebecq ? Pour Dominique Noguez, cette phrase forme « la seule référence stylistique explicite de Michel Houellebecq à un autre auteur. » [17] Claude Bernard en l’occurrence ! Mais revenons un instant à Waldberg qui continue ses citations :

Houellebecq : “ Les trois nobles vérités qui viennent d’illuminer vos regards doivent donc être considérées comme le générateur d’une pyramide de sagesse qui, inédite merveille, survolera d’une aile légère les océans désagrégés du doute. C’est assez souligner leur importance. Il n’en reste pas moins qu’à l’heure présente elles rappellent plutôt, par leurs dimensions et leur caractère abrupt, trois colonnes de granit érigées en plein désert (telles qu’on peut par exemple en observer dans la plaine de Thèbes.) ” [18]

Suite au passage précité, Waldberg s’interroge : « Ces « trois colonnes de granit » ne sont-elles pas une resucée des « deux piliers » des Chants de Maldoror, « qu’il n’était pas difficile et encore moins possible de prendre pour des baobabs, [et qui] s’apercevaient dans la vallée, plus grands que deux épingles. » [19] Cependant, les deux piliers des Chants s’aperçoivent aussi comme « Deux tours énormes » [20] dans la vallée. Nous pouvons en imaginer les traces dans les tours de la cathédrale de Chartres d’Extension du domaine de la lutte, survolées en rêve par le narrateur : « Je plane au-dessus de la cathédrale de Chartres. […] Je m’approche des tours […] Ces tours sont immenses, noires, maléfiques […] » [21] Le narrateur nous confie que son nez « est un trou béant par lequel suppure la matière organique » [22] ce qui, à notre avis, renforce l’allusion au texte ducassien. Toutefois, cet univers onirique ressemble à celui que Houellebecq découvre chez Lovecraft :

car l’architecture de rêve qu’il nous décrit est, comme celle des grandes cathédrale gothiques ou baroque, une architecture totale. […] Comme celle des grandes cathédrales, comme celle de temples hindous, l’architecture de H.P. Lovecraft est beaucoup plus qu’un jeu mathématique de volumes. Elle est entièrement imprégnée par l’idée d’une dramaturgie mythique qui donne son sens à l’édifice. [23]

Sans contestation possible, le drame, dans son sens le plus strict, fait irruption dans le cauchemar du narrateur d’Extension du domaine de la lutte, et cela avec toute l’horreur digne d’une prose, ducassienne ou lovecraftienne, qui engendre, à plus d’un moment, fascination et répulsion tout à la fois. Revenons, cependant, à la prose de Michel Waldberg.

« On retrouve chez Houellebecq, mais dilué, réduit à la teneur d’un brouet clair, le mélange, détonant, de plusieurs styles avec le grand art oratoire du XVIIè siècle. Mais l’on y chercherait en vain le mélange, détonnant, de surnaturalisme et d’ironie en quoi Baudelaire quintessenciait le romantisme. » [24] Ce en quoi, Waldberg est dans l’erreur ne lui en déplaise. Ce mélange auquel il réfère est la quintessence même de plusieurs pages houellebecquiennes. Dans Houellebecq, Sperme et sang (2003), nous évoquons justement Houellebecq, Baudelaire et Agrippa d’Aubigné en un souffle :

Il [le narrateur] s’absorbe dans la contemplation de ce spectacle imposant qui évoque d’une part, grâce au rouge sang sur le vert sombre, un tableau de Delacroix commenté par Baudelaire et par les petites agglomérations qui fument au loin, une scène champêtre telles que nous les connaissons peintes par les maîtres du XVIIIème […] Ce sang omniprésent jusque dans un soleil levant […] effleure d’une note légère mais soutenue, la Saint Barthélemy d’Agrippa d’Aubigné, dont Les Tragiques (1616) chantent une Seine rouge de sang, de Paris jusqu’à Rouen. [25]

Aujourd’hui, nous ajoutons : en passant par Lautréamont qui lui aussi voit que « La Seine entraîne un corps humain. » [26] Ces corps qui teintent de sang les eaux du fleuve chez D’Aubigné, eaux que le narrateur de Houellebecq pense être sang.

Dans tout texte, et partant de là, tout roman ou récit, subsiste toujours les traces de textes antérieurs. Dominique Noguez remarque avec justesse qu’ « il s’agit toujours des rapports d’un texte donné avec un autre, antérieur (l’hypotexte »). » [27] Et de citer plusieurs exemples de Houellebecq qui trahiraient des traits balzaciens, baudelairiens, camusiens, flaubertiens ou nervaliens. Le rapport peut donc être :

objectif, car explicite et avoué par l’auteur lui-même (dans le cas du pastiche), ou subjectif, parce que dépendant de la culture du lecteur et à la merci, parfois de sa propension, simple ou paranoïde, à voir des allusions ou des ressemblances partout. Ainsi on pourra repérer, chez Michel Houellebecq, dans les poèmes des traits baudelairiens ou nervaliens, dans les romans des traits balzaciens – par exemple dans une phrase comme « Et si le voyageur éphémère veut bien rappeler à sa mémoire ;;; » (EXT 59) – , ou flaubertiens – par exemple dans une phrase comme « On prononça quelques paroles sur la tristesse de cette mort et sur les difficultés de la conduite par temps de brouillard, on reprit le travail et ce fut tout », qui n’est pas sans évoquer « et ce fut tout » qui clôt l’histoire d’amour de L’Education sentimentale -, voire des traits camusiens (le Camus de L’Etranger) – par exemple « Assisté à la mort d’un type, aujourd’hui… » (EXT 76) qui peut faire penser au célèbre incipit (« Aujourd’hui maman est morte »), sauf que la précision qui suit, « aux Nouvelles Galeries », est typiquement houellebecquienne. [28]

On le voit, il y en a pour tout le monde. Nous reviendrons ultérieurement sur la mort aux Nouvelles Galeries. « Pertinents ou pas, ces rapprochements sont de la responsabilité du lecteur et ont quelque chose de facultatif, voire d’arbitraire. » [29] nous dit Noguez. Toutefois, Houellebecq incite à lire les auteurs, les poètes et leur biographie : « L’étude de la biographie de vos poètes préférés pourra vous êtes utiles » [30] d’où il est possible d’en déduire que leurs traces apparaissent dans l’écriture de leurs lecteurs.

Au sujet d’Extension du domaine de la lutte, Noguez écrit :

Le poète [ Ducasse ] est explicitement évoqué dans Lovecraft, pour son utilisation du vocabulaire scientifique (LOV 71). Et à qui, de fait sinon à l’auteur des Chants de Maldoror, est-il clairement rendu hommage dans l’étrange description du ciel aux abords de Bab-el-Mandel (description dont le lien avec le récit en cours reste assez énigmatique) : “… l’horizon ne se départit jamais de cet éclat surchauffé et blanc que l’on peut également observer dans les usines sidérurgiques, à la troisième phase du traitement du minerai de fer (je veux parler de ce moment où s’épanouit, comme suspendue dans l’atmosphère et bizarrement consubstantielle de sa nature intrinsèque, la coulée nouvellement formée d’acier liquide) ” [31]

Noguez voit donc dans ce passage un pur hommage à Ducasse. Nous souscrivons entièrement à son assertion. De même, nous pensons pouvoir signaler plusieurs autres allusions au poète.

Par exemple, l’aventure du canari qui se fait déchiqueter dans le rêve de Michel des Particules élémentaires rejoint étrangement le « Ah ! l’aigle t’arrache un œil avec son bec […] » [32] Toujours dans le même ouvrage, le rêve de Bruno à qui il reste un œil unique évoque ce passage du troisième chant : « Et mon œil se recollait à la grille » [33] ou encore : « Je me suis aperçu que je n’avais qu’un œil. » [34] Considérons maintenant, les magasins évoqués par les deux auteurs. « Les magasins de la rue Vivienne » [35] où « Une femme s’évanouit » [36] que personne ne relève ne bruissent-ils pas dans « la mort d’un type, aujourd’hui, aux Nouvelles Galeries. » [37] Comme nous l’avons signalé, Noguez voit, au contraire, dans ce passage un trait camusien.

Michel de Plateforme lorsqu’il nous conte : « Le soir même, j’examinai avec attention le clitoris de Valérie. » [38] s’inspire-t-il du chant deuxième : « Il est temps de serrer les freins à mon inspiration, et de m’arrêter, un instant, en route, comme quand on regarde le vagin d’une femme […]. » [39] Il est vrai que le vagin et le clitoris sont deux organes que l’on ne saurait confondre. Toutefois, fort est de convenir de leur rapprochement géographique incontestable. Dans le même chant, la phrase : « J’avais dit que je voulais défendre l’homme […] » [40] résonne étrangement en écho à la fin des Particules élémentaires : « Au moment où ses derniers représentants vont s’éteindre, nous estimons légitime de rendre à l’humanité ce dernier hommage ; hommage qui, lui aussi, finira par s’effacer et se perdre dans les sables du temps ; il est cependant nécessaire que cet hommage, au moins une fois, ait été accompli. Ce livre est dédié à l’homme. » [41] Cette dernière phrase « donne le frisson » [42] à Waldberg qui ne relève pas l’ascendance possible des Chants mais se contente de commenter : « Autant y croire que de confier son sort au Père Ubu, à Arturo Ui ou au docteur Folamour. » [43] Nous nous abstenons de tout commentaire.

Toujours d’une manière toute subjective et pourtant très convaincue, nous citons deux fragments supplémentaires des Chants et leur parallèle évident dans Extension. Tout d’abord chez Ducasse, sans nous arrêter aux différentes versions connues : « Je me propose sans être ému, de déclamer à grande voix la strophe sérieuse et froide que vous allez entendre. » [44] et tout au début du premier chant : « Il y en a qui écrivent pour chercher les applaudissements […] » [45] Deux fragments auxquels nous comparons maintenant Extension du domaine de la lutte : « Mon propos n’est pas de vous enchanter par de subtiles notations psychologiques. Je n’ambitionne pas de vous arracher des applaudissements par ma finesse et mon humour. » [46] et sur la même page : « Pour atteindre le but, autrement philosophique, que je me propose […] » [47] Il serait vain de penser que chaque fois qu’un auteur écrit « je me propose » il cite Ducasse. Néanmoins, écrit sur la même page que le fragment sur les applaudissements, il y a matière à interrogation. Cela d’autant plus que les deux fragments relevés chez Ducasse font partie du même chant à quelques pages d’intervalle.

Et enfin, last but not least ou en dernier mais non le moindre, : « Ce n’est pas la première fois que le cauchemar de la perte momentanée de la mémoire établit sa demeure dans mon imagination, quand, par les inflexibles lois de l’optique, il m’arrive d’être placé devant la méconnaissance de ma propre image ! » [48] Ce passage n’est-il pas, en grande partie, reflété dans l’univers houellebecquien avec ses personnages empreints de la méconnaissance de soi. Que l’on se souvienne de Michel de Plateforme qui voit son père dans son visage face au miroir mais reste incapable d’auto réflexion ou du narrateur d’Extension qui échoue dans son entreprise dernière, incapable de se réconciler avec la vie, par manque de connaissance de soi.

Mais lorsque Houellebecq écrit l’une de ses dissertations biologiques, de quel prédécesseur s’inspire-t-il ? Dans son essai, il expose :

A part Lautréamont recopiant des pages d’une encyclopédie du comportement animal, on voit mal quel prédécesseur on pourrait trouver à Lovecraft. Et celui-ci n’avait certainement jamais entendu parler des Chants de Maldoror. Il semble bien en être arrivé de lui-même à cette découverte : l’utilisation du vocabulaire scientifique peut constituer un extraordinaire stimulant pour l’imagination poétique. Le contenu à la fois précis, fouillé dans les détails et riche en arrière-plans théoriques qui est celui des encyclopédies peut produire un effet délirant et extatique. [49]

Un effet que Houellebecq ne se prive pas de produire. Cependant, la question reste ouverte : est-ce H.P. Lovecraft ou Ducasse qui transparaît lorsque Michel Houellebecq reproduit le langage scientifique ? Nous optons pour Ducasse. Houellebecq, dans ce passage, détourne l’attention de la filiation ducassienne de ses écrits, pour la projeter sur ses ascendants lovecraftiens. Ascendants indéniables mais nullement exclusifs.

La tentation est grande de voir dans Extension du domaine de la lutte un style empreint de traces ducassiennes dans ce que Bachelard nomme une « phénoménologie de l’agression. » [50] Tout comme Lautréamont, Houellebecq «  donne la souffrance » [51] mais son narrateur la subit également jusque dans son univers onirique : « A chaque fois, devant ces outils tachés de sang, je ressens au détail près les souffrances de la victime. » [52] Quant à son agression, elle est auto-agression dans un désir d’automutilation : « Il y a des ciseaux sur la table près de mon lit. L’idée s’impose : trancher mon sexe. » [53] La violence, que nous voyons à l’œuvre dans cette auto mutilation souhaitée, qui est une agression contre soi est, selon la théorie de Bachelard un moment ducassien. Car, nous dit-il, la violence possède « toujours un commencement gratuit, un commencement pur, un instant ducassien. » [54]

Cette tentation de voir un style empreint de traces ducassiennes repose sur le point de départ adopté : Les Chants ou les Poésies. En effet, selon Pierssens, Les Chants sont : « une grande parade diabolique qui mettait tout en œuvre pour susciter chez le lecteur romantique à la fois horreur et jouissance » [55] à l’aide de multiples scènes de transgression. Une des critiques récurrentes faite à Houellebecq est justement la transgression récurrente des codes, littéraires et sociaux. En ce sens, cette accusation le rapproche de Ducasse si l’on prend les Chants comme point de référence.

Un autre aspect de la dialectique maldorienne qui se reconnaît dans l’œuvre houellebecquienne est le processus de spéculation dont parle Pierssens lorsqu’il précise : « Maldoror se présentait déjà au lecteur comme le reflet non censuré des réalités cachées de la nature humaine. » [56] Nous avons décrit cette facette dans Houellebecq, Sperme et sang, et stipulé que les héros houellebecquiens « nous tendent un miroir où sonder notre image. » [57] Ce processus de spéculation nous renvoie leurs particularités les moins acceptables qui de fait sont les nôtres. « Toute la dialectique de Maldoror repose donc sur l’ostention insistante d’un miroir qui doit annuler la déformation des images que l’homme reçoit communément de lui-même. » [58] Cette thèse de Pierssens peut aussi bien s’appliquer à la dialectique houellebecquienne. Quant au miroir, il est formé par le langage. « Le langage-miroir », comme le nomme Jacques Durand, « réfléchit une image insolite, inattendue, disloquée et dérivante. » [59] Image qui permet un spectre de lectures différentes et même contradictoires.

Le pastiche est l’imitation d’un style. Ce n’est pas une œuvre ou un auteur que l’on pastiche mais le style de celui-ci ou d’une époque. À l’encontre de la parodie, le pastiche n’est pas nécessairement comique mais il suppose une certaine distance génératrice d’ironie. Donc, Houellebecq ne peut pasticher, bien ou mal, Lautréamont comme l’affirme Waldberg.

L’hommage, quant à lui, n’est pas un style littéraire ni un genre mais à l’origine, un terme de féodalité. Un chevalier qui rend hommage à un autre reconnaît la suzeraineté de ce dernier. Pour un auteur, il s’agit souvent du témoignage de l’existence de son prédécesseur. Un clin d’œil, si l’on veut. Houellebecq, sans aucun doute, a lu Les Chants de Maldoror et quel auteur pourrait prétendre avoir évacué toute influence ducassienne ? Houellebecq, moins que tout autre qui signale les traces de Lautréamont jusque chez un auteur qui l’ignore totalement.

Ni la trace, ni l’hommage ne sont un terme qui relève du littéraire. Dans le cadre d’une analyse littéraire, nous pensons que le terme d’allusion que nous avons employé à plusieurs reprises est le mieux approprié aux cas précis que nous venons de décrire. Comme nous l’avons vu plus haut, le pastiche est un terme incorrect employé d’auteur à auteur. Par contre, nous pouvons entièrement souscrire au terme hommage dans le sens que l’emploie Dominique Noguez.

Nous tenons à remercier les organisateurs, Pascal Durand, Jean-Pierre Bertrand et Paul Aron, qui nous permis de communiquer ce bref exposé lors du colloque « La Littérature Maldoror » (2204.)

[1] Charles Baudelaire

[2] Michel Waldberg, La Parole putanisée, Paris, La Différence, 2002, p. 30

[3] Fabrice Pliskin, L’argent dormant, Paris, Flammarion, 2004

[4] Simon Liberati, Anthologie des apparitions, Paris, Flammarion, 2004

[5] Florian Zeller, La Fascination du pire, Paris, Flammarion, 2004

[6] Didier Sénécal, « La rentrée houellebecquienne », Paris, Lire, Septembre 2004, pp. 76-77

[7] Michel Waldberg, La Parole putanisée, Paris, La Différence, 2002, p. 36

[8] Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, p. 94, cité par Michel Walberg, La Parole putanisée, Paris, La Différence, 2002, p. 36

[9] Lautréamont, Les Chants de Maldoror, p. 241, cité par M. Walberg, La Parole putanisée, Paris, La Différence, 2002, p. 37

[10] Lautréamont, Les Chants de Maldoror (1868-…), Paris, Pocket, 1992, p. 241, nous soulignons

[11] Michel Waldberg, La Parole putanisée, Paris, La Différence, 2002, p. 30, souligné dans le texte

[12] Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, p. 94 cité par M. Walberg, La Parole putanisée, Paris, La Différence, 2002, p. 37, souligné dans le texte

[13] Michel Houellebecq, Rester vivant (1991), Paris, Librio, 1999, p. 21

[14] Michel Houellebecq, Plateforme, Paris, Flammarion, 2001, p. 22

[15] ibid., p. 150

[16] Michel Waldberg, La Parole putanisée, Paris, La Différence, 2002, pp. 37-38

[17] Lautréamont, Les Chants de Maldoror, pp. 35-36, cité par Dominique Noguez, Houellebecq, en fait, Paris, Fayard, 2003, p. 104

[18] Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, p. 95, cité par M. Walberg, La Parole putanisée, Paris, La Différence, 2002, p. 38

[19] Michel Waldberg, La Parole putanisée, Paris, La Différence, 2002, p. 38

[20] Lautréamont, Les Chants de Maldoror (1868-…), Pocket, Paris, 1992, p. 150

[21] Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte (1994), Paris, J’ai lu, 1997, pp. 141-142

[22] ibid., p. 142

[23] Michel Houellebecq, H.P. Lovecraft (1991), Paris, J’ai lu, 1999, p. 71, souligné dans le texte

[24] Michel Waldberg, La Parole putanisée, Paris, La Différence, 2002, pp. 38-39

[25] Murielle Lucie Clément, Houellebecq, Sperme et sang, Paris, L’Harmattan, 2003, pp. 21-22

[26] Lautréamont, Les Chants de Maldoror (1868-…), Pocket, Paris, 1992, p. 106

[27] Dominique Noguez, Houellebecq, en fait, Paris, Fayard, 2003, p. 102

[28] ibid., p. 102

[29] ibid., p. 103

[30] Michel Houellebecq, Rester vivant (1991), Paris, Librio, 1999, p. 20

[31] Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, p. 142, cité par Dominique Noguez, Houellebecq, en fait, Paris, Fayard, 2003, pp. 103-104

[32] Lautréamont, Les Chants de Maldoror (1868-…), Paris, Pocket, 1992, p. 127

[33] ibid., p. 134

[34] ibid., p. 228

[35] ibid., p. 215

[36] ibid., p. 216

[37] Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte (1994), Paris, J’ai Lu, 1999, p. 66

[38] Michel Houellebecq, Plateforme, Paris, Flammarion, 2001, p. 313

[39] Lautréamont, Les Chants de Maldoror (1868-…), Paris, Pocket, 1992, p. 113

[40] ibid., p. 113

[41] Michel Houellebecq, Les Particules élementaires, Paris, Flammarion, 1998, p. 394, nous soulignons

[42] Michel Waldberg, La Parole putanisée, Paris, La Différence, 2002, p. 41

[43] ibid., p. 41

[44] Lautréamont, Les Chants de Maldoror (1868-…), Paris, Pocket, 1992, p. 34

[45] ibid., p. 25

[46] Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte (1994), Paris, J’ai Lu, 1999, p.16

[47] ibid., p. 16

[48] Lautréamont, Les Chants de Maldoror (1868-…), Paris, Pocket, 1992, p.162, nous soulignons

[49] Michel Houellebecq, H.P. Lovecraft (1991), Paris, J’ai lu, Paris, 1999, pp. 82-83

[50] Gaston Bachelard, Lautréamont, Paris, José Corti, 1939, p. 3

[51] ibid., p. 4

[52] Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte (1994), Paris, J’ai Lu, 1999, pp. 142-143

[53] ibid., p. 143

[54] Gaston Bachelard, Lautréamont, Paris, José Corti, 1939, p. 184

[55] Michel Pierssens, Lautréamont. Ethique à Maldoror, Lille, Presses Universitaires, 1984, p. 16

[56] ibid., p. 62

[57] Murielle Lucie Clément, Houellebecq, Sperme et sang, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 194

[58] Michel Pierssens, Lautréamont. Ethique à Maldoror, Lille, Presses Universitaires, 1984, p. 62

[59] Jacques Durand, « Un piège à rats perpétuel », Lautréamont, Paris, M. Chaleil et Ed. Supervie, 1971, p. 172

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