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juillet 29, 2016 By mlc

Tourisme noir et devoir de mémoire.

A picture taken in January 1945 depicts Auschwitz concentration camp gate and railways after its liberation by Soviet troops. // Photo prise en janvier 1945 montrant la grille d'entrée et les rails du camp de concentration d'Auschwitz après sa libération par les troupes soviétiques.

Misérabilisme et devoir de mémoire ?

Exception faite de Balzac ou Zola, il semblerait que le misérabilisme ne produit pas de gros pavés. Par ailleurs, avec la télévision qui vomit à tour d’antenne des horreurs vraies aux actualités ou mises en scène dans les séries, nous sommes devenus insensibles au malheur des autres tant qu’il reste éloigné derrière l’écran ou dissimulé dans les pages d’un livre. Tout comme au XIXe siècle, une incontestable délectation à se repaître des conditions de vie sordides de certains de nos frères humains semble exister. Cette disposition donne naissance à un nouveau terme qui cache une activité loin d’être récente : le tourisme noir – forme de tourisme qui, selon Salvayre, serait propédeutique[1] –,  aussi appelé le tourisme de catastrophe, le tourisme sombre, tourisme macabre ou le thanatourisme qui a son tour engendre des petits livres loin des gestes balzaciennes.

Lydie Salvayre, avec son roman précurseur, Les belles âmes[2], arrivait à peine à remplir 140 pages ; Le Wagon d’Arnaud Rykner[3] n’en comportait pas plus d’une centaine et Chris Simon en noircit tout juste 130 avec Memorial Tour[4].

Dans Le Wagon – loin d’être un pavé comme nous l’avons souligné –, un narrateur prend la place d’un déporté pendant les trois jours d’un voyage interminable vers une destination inconnue, mais dont il y a tout lieu de croire qu’elle est celle d’un camp de la mort. L’embarquement cruel d’hommes, femmes et enfants interpelle le narrateur :

Lequel aurait pensé pourtant qu’on entasserait cent corps dans ce wagon prévu pour “quarante hommes ou huit chevaux en large” ? Et cent corps dans le wagon devant. Et cent corps dans le wagon derrière. Et vingt wagons, ou plus, pour aller où ? Vingt wagons à la queue leu leu, comme des enfants punis, des enfants honteux, morveux, battus, sales, retenant leur culotte, se retenant pour ne pas souiller leur culotte.[5]

wagonAvec pudeur et compassion, Rykner reproduit un train de pensée qui, s’il étonne parfois, fait montre de cohérence et de réflexion, réflexion de celui au bord du gouffre qui résiste pour éviter d’y sombrer :

Il nous reste encore ça. Cette force de pouvoir rire d’eux, au bord de s’évanouir, bientôt peut-être au bord de la tombe. Mais, c’est notre tour de nous lever. Fin de la parenthèse. Je me demande si j’aurai encore l’occasion de rire. Nos visages à présent se figent. Seule notre bouche s’ouvre, excessivement. Comme un plongeur qui sortirait de l’eau. De l’eau. Cette seule idée me fait mal tant j’ai soif. Il faudrait ne plus penser. À rien. N’être plus rien. Je voudrais être mort. Je suis fatigué.[6]
Le héros – peut-on encore parler de héros dans le cas d’un corps pressé jusqu’à l’étouffement – sans le vouloir, comme envahi par une mémoire involontaire, bénéficie du voyage forcé pour réfléchir sur des questions existentielles auxquelles il n’aurait peut-être, sans cela, jamais été confronté :

Contrairement à ce que je pensais, la mort des autres m’est plus atroce que la mienne. Parce qu’elle est pire que ma mort, qui n’est qu’une idée de ma mort, alors que la mort des autres c’est ma mort vécue, c’est ma mort au présent, regardée, écoutée, auscultée avec horreur.[7]

Horreur de l’acheminement accentuée par la chaleur, le manque criant de provisions de bouche et la totale absence d’eau. Impossible de rester raisonnable dans ces conditions et chaque tentative de relativiser ou d’analyser à voix haute la situation devient un sujet d’hystérie collective. Il en est ainsi lorsque l’un d’entre eux essaie d’expliquer le processus chimique à l’œuvre dans le pourrissement de la paille étalée en litière dont s’échappent des vapeurs nocives :

Alors, comme s’ils n’avaient attendu que ça pour se réveiller, comme si la conscience soudain leur était redonnée par ces mots leur annonçant une mort idiote, abjecte, sous le soleil, tous les camarades se mettent à hurler, à frapper les parois, des pieds, des mains, certains de la tête, criant qu’on nous ouvre, qu’on nous donne de l’air, qu’on ne nous laisse pas crever comme des bêtes, qu’on ne ferait même pas ça à des bêtes. Ils crient, ils tapent, ils hurlent. Les pieds hurlent autant que les têtes.[8]

Le narrateur reporte avec minutie l’enfer du voyage. Le tas de cadavres empilés, des morts succombés dès le premier jour de douleur où il essaie d’échapper à leur vue impressionnante et annonciatrice d’une fin éventuelle prochaine.

Moi, je me suis mis une chemise sur la tête, et je respire au travers, sans rien voir. Mais rien ne m’empêchera d’entendre le gargouillement qui sort de la masse informe. On peut se cacher les yeux, se boucher le nez, mais nos oreilles nous rattrapent. Avec elles on ne peut rien faire, on ne peut pas tricher. Elles nous livrent à eux. À cause d’elles, les morts continuent de nous parler, de gémir dans leur langage à eux, fait de bouillonnements sourds, lugubres, obstinés.[9]

A photo taken 27 May 1944 in Oswiecim, showing Jews alighting from a train in the Auschwitz-Birkenau extermination camp. The Auschwitz camp was established by the Nazis in 1940, in the suburbs of the city of Oswiecim which, like other parts of Poland, was occupied by the Germans during the Second World War. The name of the city of Oswiecim was changed to Auschwitz, which became the name of the camp as well. Over the following years, the camp was expanded and consisted of three main parts: Auschwitz I, Auschwitz II-Birkenau, and Auschwitz III-Monowitz. Red Army soldiers liberated the few thousand prisoners whom the Germans had left behind in the camp, 27 January 1945. AFP PHOTO/ YAD VASHEM ARCHIVES
AFP PHOTO/ YAD VASHEM ARCHIVES

La libération ne viendra pas ; le lecteur le sait dès la première page, la première ligne où il a encore le choix. Continuer la lecture ou poser le livre. Que peut-il apprendre de cette introspection, cette descente dans les tréfonds de l’horreur ? Peut-être justement est-ce de sentir ce que la déportation a pu être pour la part de l’humanité qui l’a subie sans jamais se départir de son savoir, de la connaissance de son bourreau : l’homme embrigadé dans une spirale de haine où même les enfants avaient leur place dans le processus de destruction :

Avant que je comprenne, un caillou cogne le barbelé puis m’atteint en pleine joue. Je me baisse d’instinct avant de comprendre que c’est un groupe d’enfants qui me regardent ; ils profitent d’un court arrêt du train pour lapider les ennemis de l’Allemagne. J’entends leur cri, je l’entends sans y croire : “Juden ! Juden ! Alle ins Krematorium”.[10]

Savaient-ils donc la destination finale des Juifs transportés dans les trains sur les rails si près d’eux ? Comment des enfants pouvaient-ils souhaiter la mort de leurs semblables ? Il est probable que ce soit cela le véritable Mal, lorsque les enfants reprennent à leur compte les plus vils concepts des adultes et ne reconnaissent plus des membres de l’humanité comme les leurs.

2350346 Poland, Osventsim . 03/01/1942 The Second World War (1939-1945). Poland, Auschwitz, 1942. The suitcases featuring markings from all European countries were burned in the death camps' ovens. Reproduction. Judin/RIA Novosti
Reproduction. Judin/RIA Novosti

Tourisme noir

Une référence à Balzac et Zola est loin d’être tout à fait fortuite, le XIXe siècle ayant été généreux en compositions décrivant les nantis visitant les damnés de la terre occidentale et faisant œuvre de charité ou les scènes peignant de façon pittoresque, dans des romans-fleuves, la vie des gens misérables – principalement comparée à celles de ceux qui pouvaient se permettre de les lire. Que l’on songe à Mérimée, Dumas ou Hugo. Toutefois, personne ne parlait de tourisme noir à l’époque, le terme n’ayant pas encore fait son apparition. Les livres de Salvayre et Simon explorent le thème.

Lydie Salvayre met en scène un groupe d’hommes et de femmes  embarqués dans un tour des quartiers pauvres des banlieues des grandes villes européennes avec un guide pour le moins grandiloquent :

Cette cité, dit-il, bouleversé, cette cité ressemble à une prison. Son architecture froide, sa tristesse infinie, ses fenêtres fermées sur ce ciel glauque la font pareille à une prison. Et c’est ce qu’elle est en vérité. Une prison sans geôlier où l’on parque le troupeau des hommes humiliés. Et ces hommes, dit-il, parqués à perpète dans ces immondes tours, mourront sans avoir rien connu de la beauté du monde et sans jamais l’avoir célébrée. Et leurs enfants, plongés jusqu’au cœur dans la laideur des choses mourront dans la laideur. Or il y a dans la laideur quelque chose qui fait peur, qui fait mal, qui mortifie les âmes et insulte atrocement l’intelligence. Quelque chose qui tue.[11]

Rencontres organisées avec les habitants et les belles âmes sont les touristes qui désirent connaître la vérité. Celle des quartiers les confronte à la pauvreté ambiante et même à l’absence d’accommodations publiques, un manque similaire se retrouve chez Simon et Rykner :

Mlle Faulkircher murmure, entortillée, à l’oreille de Jason qu’elle voudrait aller au petit coin. Mais nul édicule n’est prévu dans la cité à usage de petit coin, en dehors des ascenseurs et cages d’escaliers. Jason lui suggère de pisser derrière une bagnole. Les femmes feront la haie. Vu des fenêtres, le spectacle sera moins choquant qu’un combat de pitbulls. Hi hi hi ![12]

belles amesAprès plusieurs visites de foyers décrépis, la beauté de leurs âmes s’effrite et c’est bien heureux qu’ils retournent dans leurs douillettes maisons, loin des misères pourtant si proches géographiquement. L’humour de l’auteur sauve le livre dont le lecteur s’interroge sur le besoin de ces visiteurs à déambuler au milieu de la pauvreté et des horreurs humaines comme le fait le chauffeur du bus Vulpius :

Le chauffeur Vulpius se demande, néanmoins, par quel désir contre nature, par quelle insane perversion ces touristes aisés qui pourraient, s’ils le voulaient, visiter de belles et grandes choses comme le Taj Mahal, le Krak des Chevaliers ou la pyramide de Kheops, le chauffeur Vulpius se demande par quel penchant morbide, par quelle aberration vicieuse ces touristes retors sont venus se paumer dans d’aussi mornes paysages. C’est louche.[13]

Le couple de Chris Simon pense avoir rendez-vous avec l’histoire. Pour eux, comme pour les excursionnistes de Lydie Salvayre, il s’agit d’un choix. Dans Memorial Tour, Patrice, veut faire un présent à sa femme qui discute tranquillement avec d’autres embarqués : « – Une surprise de mon mari. Il croit qu’il suffit de se mettre à la place des autres et vivre leur expérience pour les comprendre. Une sorte de religion chez lui. Moi, je suis plus pessimiste, mais toujours curieuse de connaître mes limites ! »[14]

Salvayre et Simon ont toutes les deux la psychiatrie en commun et plus exactement le lacanisme. Chris Simon en rapporte les séances dans sa série Lacan et la boîte de mouchoirs et Lydie Salvayre s’inspire de sa définition du fantasme pour préciser celui d’Olympe, la jeune amie de l’animateur.

Devant les réactions du groupe, l’accompagnateur n’est pas autrement surpris. Pour avoir participé par trois fois à de semblables pèlerinages, il sait que se succèdent quatre phases chacune marquée d’un pic : une phase d’enthousiasme humanitaire, une autre de dépression cyclonique de la conscience, suivie de près d’une phase purement catastrophique, qui précède, à l’arrivée, une phase de lâche soulagement. La séquence est algébrique.[15]

L’hésitation dans le choix du périple est décrite chez Salvayre et Simon. Les voyageurs de Rykner n’ont évidemment pas eu d’autre option.

Dans les romans de Salvayre et de Simon, tout le monde prend le début du circuit à la rigolade. Pour les touristes de Simon, il s’agit d’une simulation. « Historiquement correct » s’écrie l’un des gaillards. Cependant l’invraisemblable surgit dans Memorial Tour lorsque les voyageurs – qui ont déboursé pour être mis en situation historique – sont étrillés par l’un des gardes :

Patrice paie au vendeur deux bouteilles d’eau et des chips. Une sentinelle se jette sur lui, le frappe au visage de sa matraque et lui confisque la marchandise. Elle fait dégager illico presto le vendeur, qui déguerpit. Un renfort de soldats vient se charger de ceux qui se rendaient dans le hall de la gare. J’abandonne nos valises à roulettes et me lance au secours de mon mari, mais un gradé s’en mêle.[16]

mémorial tourL’héroïne narratrice est absolument débordée par la situation. Que des sentinelles surveillent les touristes et se servent de leur fusil, cela semble, en effet, dépasser les bornes ce qu’elle remarque outrée : « Nous violenter, nous menacer de leurs armes, mais pour qui ils se prennent. Ils vont entendre parler de moi, je ne vais pas en rester là »[17]. Remontrances que n’ont pas les voyageurs de Rykner tout en souffrant cruellement de la même absence d’eau.

Les excursions organisées dans les banlieues pauvres existent bel et bien – plusieurs opérateurs ont pris d’assaut le créneau –, toutefois, les agences de tourisme, si elles proposent bien à l’heure actuelle la visite des camps, n’ont pas encore eu l’idée d’y amener leurs clients en wagon à bestiaux. Cela ne saurait probablement plus vraiment tarder. Iront-elles jusqu’à les faire frapper par la crosse des fusils de sentinelles de pacotilles et avancer nus dans les chambres à gaz pour faire plus authentique ? Chris Simon l’a fait et elle pose la question : « Quel genre d’humains sommes-nous ? »[18]

Chez Simon, tout comme chez Rykner, l’humour est absent de la fiction. L’horreur est non seulement dans les deux romans, mais aussi dans le fait qu’elle continue à se propager sur terre. C’est un peu la faiblesse de la fin du livre de Simon qui annonce : « Plus jamais. Plus jamais ça. »[19], tandis que le lecteur sait avec amertume que « ça » se déroule quelque part dans le monde au moment même où il lit la phrase bien que fréquemment sur un autre continent. Pas les chambres à gaz, non ; mais les massacres, oui. Oui, les massacres se déploient aujourd’hui encore couramment dans la plus grande indifférence.

Devoir de mémoire ou exploitation d’un sujet porteur ?

Une question qui revient incessamment ces dernières années. Depuis le succès planétaire de Jonathan Littell et Les Bienveillantes[20], des auteurs semblent se vouer à la représentation du Mal dans leurs écrits – lorsqu’il ne s’agit pas purement de sa banalisation. L’Origine de la violence  de Fabrice Humbert[21], HHhH de Laurent Binet[22], Jan Karski de Jannick Haenel[23] – pour ne nommer que ceux-là parmi tant d’autres – en sont un exemple.  Ils sont parfois difficiles à terminer tant ils apostrophent le lecteur et le poursuivent dans ses retranchements douillets à l’abri de son chez-soi. Néanmoins, il en conviendra sans peine : « Il n’y a pas de limite au pire »[24] pourrait bien être la conclusion de tout ouvrage se hasardant dans les terrains marécageux du Mal.

 

[1] Lydie Salvayre, Les belles âmes, Seuil, 2000, coll. Points, p. 94.

[2] Les belles âmes, op. cit.

[3] Arnaud Rykner, Le Wagon, La Brune/Au Rouergue, 2010.

[4] Chris Simon, Memorial Tour, Editions du Réalisme délirant, 2016.

[5] Le Wagon, op. cit., p. 19.

[6] Ibidem, p. 26.

[7] Ibidem, p. 36.

[8] Ibidem, p. 54.

[9] Ibidem, p. 66.

[10] Ibidem, p. 137.

[11] Les belles âmes, op. cit., p. 27.

[12] Ibidem, p. 45.

[13] Ibidem, p. 42.

[14] Memorial Tour, op. cit., p. 38.

[15] Les belles âmes, op. cit., p. 115.

[16] Memorial Tour, op. cit., p. 68.

[17] Ibidem, p. 68.

[18] Ibidem, p. 119.

[19] Ibidem, p. 133.

[20] Jonathan Littell, Les Bienveillantes, Gallimard, 2006.

[21] Fabrice Humbert, L’Origine de la violence, Le Passage, 2009.

[22] Laurent Binet, HHhH, Grasset, 2010.

[23] Jannick Haenel, Jan Karski, Gallimard, 2009.

[24] Les belles âmes, op.cit., p. 36.

 

Credits photographiques:

© Mémorial d’Auschwitz-I

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juillet 14, 2016 By MLC

Mythes et mythification de l’auteur Indé

IMG_0989Auteur auto publié et auteur auto édité

Plus chic, plus flou aussi, « auteur indépendant » (Indé) a remplacé « auteur auto édité » signifiant, malgré tout, peu ou prou de différence. De fait, autoédité avait l’avantage d’être plus clair au premier abord : un auteur qui s’édite lui-même. Dans la pratique, le terme reste pernicieux, car peu d’auteurs font un véritable travail d’édition sur leurs textes cela étant de facto impossible. On devrait plutôt parler d’auteur auto publié, ce qui aurait le mérite d’être clair – du moins pour les initiés.

La confusion entre « publié » et « édité » vient, de toute évidence, de celle entre « publication » et « édition ». Publication équivaut à l’action de rendre publique une information. Ainsi, la publication des bans de mariage, rendre publique l’intention de untel et unetelle de prononcer des vœux de fidélité et autres l’un envers l’autre et vice versa ; publier une loi ; publier les exercices d’une entreprise… Publication est maintenant dans le langage courant, non seulement l’action de publier, mais de même un substantif décrivant ce qui a été publié. Ainsi, un article scientifique ou un article de loi, une revue ou un livre sont des publications.

En revanche, l’édition est l’acte d’éditer le texte d’un auteur en en faisant la critique. Cette définition a été de plus en plus occultée au profit d’une signification égale à « reproduction », « publication » et « diffusion ». En ce sens, on peut aisément parler d’auteur autoédité, mais si on considère « éditeur » correspondant à « faire la critique de l’œuvre », il ne peut conséquemment pas y avoir substitution à « autopublié ».

La confusion est toutefois bel et bien ancrée dans l’esprit des lecteurs et celui des auteurs eux-mêmes. « Auteur indépendant » aurait pu avantageusement prendre la place de « auteur autoédité » et « auteur autopublié » s’il n’avait lui aussi recouvert tout un possible d’interprétations.

Qu’est-ce qu’un auteur Indé ?

Voici la grande question.

De ce qui précède, un auteur Indé serait un auteur qui s’auto publie à la différence d’un auteur Tradi publié par une maison d’édition traditionnelle où un éditeur a lu, critiqué, corrigé son texte. Ces dernières occurrences : dans le meilleur des cas. Dans notre propos, nous occultons à dessein les auteurs publiés à compte d’auteur par des maisons peu scrupuleuses qui sans faire aucun travail d’édition ou de diffusion sur les textes et ne sont rien moins que des aides à la publication, facturent leurs services à des tarifs habituellement prohibitifs.

La publication d’un roman (ou si l’on préfère son édition), effectuée par une maison d’édition traditionnelle engendre un travail considérable. Que l’on songe à la correction du texte, à la mise en page, à la fabrication d’une couverture (raison pour laquelle de nombreuses maisons gardent un seul et unique modèle de typographie et la même iconographie pour toutes leurs maquettes de romans (Gallimard, Seuil, Grasset, Minuit, et cetera.), au calcul du prix de vente, au marketing et à la diffusion. Tâches dont l’auteur indépendant doit prendre l’entière responsabilité et effectuer en plus de l’écriture.

Mais, pourquoi un auteur va-t-il se charger lui-même de la publication de son texte – ce qui représente une somme herculéenne de travail – si des maisons d’édition peuvent le faire ? direz-vous.

Nous voici au cœur de la question.

En effet, parmi les auteurs Indés, on trouve des auteurs refusés par les maisons d’édition traditionnelles – c’est-à-dire des auteurs qui ont envoyé leurs textes (romans, poésie, guides, essais) à des maisons d’édition ayant pignon sur rue et se sont vus dotés d’une fin de non-recevoir pour différentes raisons. En clair : un refus (mais pas que). Ce refus est loin d’être le signe de la nullité du texte. En effet, un bon nombre d’auteurs s’est vu leur texte renvoyé qui est devenu par la suite un best-seller. Pour n’en citer que quelques-uns : Jonathan Littell s’est vu refuser son manuscrit Les Bienveillantes par une dizaine d’éditeurs avant d’être accepté par Gallimard et de remporter avec son livre le prix Goncourt. Idem pour Le Testament français d’Andreï Makine, finalement publié au Mercure de France et raflant le Goncourt, le Goncourt des lycéens et le prix Femina. Pas mal pour un manuscrit mis au rebut par une dizaine d’éditeurs.

Bien entendu, tous les manuscrits refusés ne sont pas promus à une aussi belle carrière, mais cela démontre qu’étrillé par les uns peut très bien être adoré par d’autres. Ce qui laisse tout de même entendre que dans le tas des refusés certains textes mériteraient d’être portés à l’attention du public. Mais l’autopublication suffirait-elle à les faire connaître ? Après la publication, il faudrait en faire la promotion. Nous y reviendrons.

Parmi les auteurs auto publiés, on peut aussi rencontrer les auteurs qui voient l’autoédition comme un tremplin vers l’édition traditionnelle. C’est l’auteur qui, sûr de son produit (eh oui, le livre est un produit), le lance lui-même et espère ainsi attirer l’attention d’un éditeur traditionnel. Il y a aussi l’auteur qui fait de l’auto publication, car c’est pour lui le seul moyen d’être libre. « Personne ne touche à mon texte. Je veux publier tout ce que je veux et comme je l’entends, » déclame-t-il à l’envi. Sans oublier l’auteur prolifique qui, bon an mal an, sort un roman tous les deux mois et qui n’écrivant pas des intrigues à l’eau de rose est un mauvais cheval pour l’écurie Harlequin. D’autre part, aucun autre éditeur n’accepterait de publier une production si conséquente. Là aussi l’auto publication peut s’avérer la panacée. De fait, la plupart du temps, l’auteur Indé réunit un mélange de toutes ces éventualités. Par suite, l’auteur Indé est en proie à une dissonance cognitive profonde, répercutée sur toute la communauté.

Tiraillé entre l’aspiration à la reconnaissance (représentée par un contrat en bonne et due forme avec une – de préférence grande – maison d’édition traditionnelle) et celle de l’indépendance relative de son statut, l’auteur Indé oscille entre plusieurs concepts et alternatives. Néanmoins, l’un d’eux émerge constamment : le manque de reconnaissance à n’être qu’un auteur Indé – l’auto publication ayant mauvaise réputation auprès des lecteurs. Même si le terme Indé est plus chic qu’autopublié, il dissimule un mal-être que l’on peut aisément observer en parcourant les groupes Facebook où les Indés se rencontrent et échangent leurs idées avec pour leitmotiv « Comment se faire connaître ? », « Comment être reconnu comme un auteur à part entière ? », et cetera. Cette réputation défectueuse, l’auteur Indé la doit, pour une grande part, à la presse sans toujours la mériter.

La vision séparatiste de la presse

Au fil du temps, la presse n’a eu de cesse de véhiculer une vision binaire de l’auteur : d’un côté les Indés ; de l’autre les Tradis. Dans ces deux catégories, la première subit un ostracisme doxal exubérant et perpétuel. Les salles de rédaction auraient-elles pour mot d’ordre de décrier les Indés, dont les livres seraient bourrés de fautes : erreurs grammaticales, orthographiques et syntaxiques avec une terminologie simpliste et un vocabulaire restreint ? Cela y ressemble si l’on prend en considération grand nombre des articles sur le sujet.

Un véritable mythe poursuit le lecteur Indé : il est négligent, publie tout et n’importe quoi et surtout n’importe comment. Ses romans sont des resucés d’auteurs connus ; les couvertures de ses livres se reconnaissent à leur médiocrité délirante… Toutefois, c’est mal faire la part des choses et occulter, entre autres, les auteurs Tradis qui las de travailler avec une maison d’édition – celle-ci ou bien faisait traîner en longueur la parution de leurs ouvrages ou bien ne leur remettait pas en temps les arrêts des comptes, voire ne les leur communiquait pas du tout –, ces auteurs donc qui se sont tournés vers l’autoédition pour gérer de première main l’administration et la publication de leurs œuvres et sont passés du camp des purs Tradis à celui des Indés pour de nouveaux ouvrages tout en gardant leurs précédents livres chez des éditeurs traditionnels. Ce sont les « auteurs métis ». La qualité de leurs écrits est restée la même que par le passé, c’est-à-dire celle d’auteurs acceptés par les maisons d’édition traditionnelles. Néanmoins, ils font maintenant partie du groupe des auteurs Indés.

Preuve qu’il existe aussi incontestablement un grand nombre d’auteurs Indés qui sont d’excellentes plumes et pourraient procurer aux lecteurs un immense plaisir de lecture s’ils étaient connus des lecteurs potentiels ce qui nécessiterait une opération marketing. L’auteur Indé publie sur des plateformes comme Amazon, Kobo, iBook avec la part du lion du marché, récupérée par la première. Pour faire connaître ses écrits, il peut faire du marketing sur les réseaux sociaux, dans les groupes de lecteurs, par exemple, et espérer générer assez de ventes pour entrer dans le magique Top 100 d’Amazon. Ainsi son livre sera-t-il lu et peut-être aura-t-il la chance de récolter quelques commentaires positifs, ce qui entraînera d’autres clients/lecteurs à acheter son livre, éventuellement le lire et dans le meilleur des cas l’apprécier. Ainsi pourra-t-il se constituer un groupe de fidèles lecteurs. Le groupe inconditionnel de fans qui suivent leur auteur quoiqu’il écrive et publie étant l’un des mythes dont se berce volontiers l’auteur Indé. Un des autres grands mythes est de croire qu’une maison d’édition traditionnelle ferait un marketing monstre pour un auteur inconnu à son premier roman. Cela s’est vu, se voit et se verra, mais ce n’est pas la règle et reste d’une rareté extrême pour ne pas dire négligeable dans le cadre qui nous occupe.

Mythification et mythes

Par ailleurs, la mythification dans la communauté des Indés est savamment entretenue par quelques histoires à succès répétées ad aeternam : l’auteur de 50 nuances de Grey n’a-t-elle pas commencé par s’autopublier ? Telle auteur n’a-t-elle pas été remarquée par tel éditeur après avoir vendu plusieurs milliers de livres sur Amazon ? Proust, Cocteau et tant d’autres n’ont-ils pas débuté par l’autopublication ? Autant de mythes en passe de devenir – s’ils ne le sont déjà – les légendes de référence de l’autoédition et des Indés.

Subséquemment, tensions, dilemmes insolubles et conflits intérieurs sont le lot quotidien de l’auteur Indé – moins indépendant que l’on pourrait le croire et qu’il ne veut le dire –, prisonnier d’un rêve vivace et si coriace à rejoindre. Même celui qui préfère garder sa prétendue indépendance songe en secret à être contacté par un « grand éditeur » pour avoir le plaisir de décliner la proposition. Quel panache de pouvoir dire : « J’ai refusé l’offre de Gallimard ou de Laffont » (la deuxième maison prônant plus l’effet de buzz que la première). Cette position étant si convoitée que certains auteurs Indés n’hésitent pas à fantasmer haut et fort, et parfois à tort et à travers, s’être vu proposer par une « grande maison d’édition » (jamais par une petite maison honnête !) un contrat mirifique et l’avoir rejeté.

Néanmoins, sans cette dissonance cognitive, la communauté des Indés ne pourrait continuer à s’épanouir. Comme pour toute communauté, il s’agit là d’un atout essentiel à sa survivance, les croyances contradictoires étant aussi vitales à son bien-être que les valeurs incompatibles qui l’agitent.

 

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mai 22, 2016 By mlc

Ebookivore 2015, un ebook indispensable

ebookivorePour les lecteurs en quête de ebook

Vous avez une liseuse Kindle et il y a tellement d’auteurs et de livres inconnus au format ebook que vous ne savez pas trop quoi choisir. Voilà un petit bouquin à 0,99 € qui pourra certainement vous aider. Personnellement, je l’ai consulté plusieurs fois pour y trouver des noms d’auteurs et j’ai été étonnée de tous ceux que je ne connaissais pas encore. Cela m’a permis de faire de très belles découvertes et de passer de très bons moments de lectures. 
Bien entendu, les chroniques sont celles des auteurs de cet ouvrage et ce n’est pas toujours celle que vous attendriez, néanmoins c’est un petit guide précieux pour qui débute dans la lecture sur liseuse Kindle (ou autre) et aussi pour le lecteur assidu qui parfois aime en savoir un peu plus sur le livre qu’il va choisir.
 
« Car lire est un partage, trois lecteurs passionnés d’eBooks ont décidé de vous faire part de leurs découvertes, de leurs coups de cœur et de vous concocter ce petit guide pratique… Il contient toutes les chroniques qui sont parues en 2014 sur la page Facebook « l’eBookivore ». C’est une page entièrement dédiée aux lecteurs avides de nouveautés !

Vous y trouverez des accès à trois pages « facebook » pour vous tenir informés des actus et des chroniques publiées fréquemment et gratuitement, 


Et surtout, dans cet eBook, plus de 100 kindles sont chroniqués ! Près de 70 pages auteurs référencés parmi des indépendants… pour que chaque lecteur puisse trouver la lecture qui lui corresponde. »
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Science-fictions,
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mai 16, 2016 By mlc

André Breton, Nadja, petite fiche de lecture

André Breton, Nadja,Autobiographie

Dans Nadja, nous retrouvons plusieurs aspects du récit avec, entre autres, des éléments autobiographiques, des réflexions sur la morale et la philosophie, des commentaires sociaux et des confidences très personnelles. Cependant nous pouvons l’appeler autobiographie car une grande part du récit consiste en le journal de Breton et il réfère à un moment précis de sa vie. Moment où Breton commençait à vraiment s’insérer dans la réalité historique du Surréalisme. Breton est lui-même dans Nadja. Il est un homme dont la vie se confond avec la carrière littéraire. Le fait que Nadja ait vraiment existé motive le choix de cette période plutôt qu’une autre et aussi le fait que Nadja ait été l’une des rencontres déterminantes dans sa vie. L’accumulation des notations temporelles non indispensables montre aussi le caractère autobiographique de l’œuvre en cela qu’elle en accroît la crédibilité.

Qui suis-je ?

En un sens Breton trouve une réponse à cette sempiternelle question puisqu’il découvre à la fin du livre qui il est réellement : un Surréaliste et surtout un homme pour qui l’amour fou compte plus que tout. D’un autre côté, il ne le sait toujours pas puisqu’il hésite encore, qu’il a des remords. Néanmoins, le livre se termine sur une certitude : « La beauté sera convulsive ou ne sera pas. » Alors la réponse n’existe que dans de brefs instants. « Qui suis-je ? » Question cruciale dont la réponse reste malgré tout plus ou moins énigmatique et sujette aux aléas de la vie.

 L’histoire d’une quête de soi

Par sa présence, Nadja aide Breton à se découvrir. Elle a un rôle révélateur pour lui et l’expérience avec elle lui redonne le sens de la vie car à travers ou par elle, il a compris que la vie se trouvait dans cette vie-ci et non dans l’au-delà.

« Qui vive ? Est-ce vous Nadja ? Est-il vrai que l’au-delà, tout l’au-delà soit dans cette vie ? Je ne vous entends pas. Qui vive ? Est-ce moi seul ? Est-ce moi-même ? » Par sa présence, Nadja justifie aussi la quête de Breton et elle l’aide à se voir et à se situer par rapport à lui-même. Et une fois son rôle achevé d’initiatrice, de révélatrice, elle disparaît. Breton s’est développé du « Qui suis-je ? » initial au « Qui vive ? » sur lequel se termine leur aventure qui se détache de Breton malgré que la voix qui l’anime puisse encore s’élever.

Le destin de Nadja

Nadja devra être internée ayant sombré dans la folie. Breton s’interrogera car il n’avait pas vu la maladie la gagner. A partir de ce moment, il a la certitude encore plus aiguë de l’existence de limites à ne pas transgresser, d’un certain garde-fou qu’il n’est pas bon d’enjamber. D’un côté, il condamne les psychiatres et les juges, les prisons et les asiles et refuse une manière de vivre imposée par la société ; de l’autre, il condamne tout aussi durement l’homme qui supporte son asservissement. Avec Nadja, il a pu goûter à la tentation de mener une vie surréaliste, toute de risque et de disponibilité. Il a connu « le principe de subversion totale » mais, le destin de Nadja lui en fait voir les conséquences possibles.

Les « faits glissades ».

Françoise Calin décrit les « faits-glissades » comme des événements qui en amènent inéluctablement d’autres. Les faits glissades sont moins forts que les faits-précipices. Par exemple, la rencontre avec Nadja est un fait-précipice en lui-même, mais devient un fait-glissade par rapport à la rencontre avec le « tu » de la fin du livre. Un fait-glissade peut donc être un fait-précipice qui se transforme en intensité. Toutefois, il ne peut être aussi que cela. Par exemple : voir les panneaux « Bois et Charbons » sont des faits-glissades. Ce sont des signaux « des faits de valeur intrinsèque sans doute peu contrôlable qui échappent à notre compréhension et qui ont toutes les apparences d’un signal, sans qu’on puisse dire au juste quel signal ». Leur hiérarchie dépend de l’effet qu’ils produisent sur nous.

Les mots « faits-glissades » et « faits-précipices » annonçaient le danger de « couler à pic » nous dit Françoise Calin car c’est plonger dans le noir, dans l’inconnu que de partir dans cette « descente vertigineuse en nous » menant vers la « zone interdite » zone que Nadja a transgressé trop de fois pour revenir. Une chose très importante : les « faits-glissades » et les « faits-précipices » ne peuvent être provoqués. Ils surgissent du hasard objectif qui nous met en rapport avec l’inconscient.

 La mémoire et le souvenir

La mémoire est ensevelie dans le gant de la main et « le Surréalisme vous introduira dans la mort qui est une société secrète. » Le gant est fourni par le Surréalisme. « M » est la lettre initiale de « mort » et de « mémoire » qui est involontaire pour Breton en cela qu’elle joue un rôle associatif. Au gré de sa fantaisie, elle conduit l’homme, son sujet. Néanmoins, avec beaucoup de discipline, il peut arriver à l’apprivoiser, mais jamais à la dompter complètement. En cela, la mémoire joue un grand rôle dans l’autobiographie de Breton puisqu’elle s’arroge le droit d’y faire des coupures, de ne pas tenir compte des transitions tout comme dans le rêve. Le souvenir, quant à lui, joue un rôle déterminant : c’est en souvenir de Nadja que Breton écrit ce récit, deux ans après leur rencontre.

 « La vraie vie »

Pour Breton, la « vraie vie » est la vie surréaliste. Il ne retient que ce qui est important. C’est une manière de vivre où l’on est ouvert et réceptif au hasard objectif. La « vraie vie » suppose une disposition d’esprit permettant de s’ouvrir aux rencontres.

Les endroits surréalistes

Il y a dans Nadja plus de soixante lieux ou établissements parisiens de mentionnés. Breton ne les décrit pas souvent, il se contente uniquement de les nommer la plupart du temps. Le Marché aux Puces de la Porte Saint Ouen est un lieu « surréaliste » car, avec l’ouverture d’esprit nécessaire, on peut y découvrir des trucs ou des personnes comme la petite fille qui déclame Rimbaud ou le cendrier-cendrillon.

Le « surréel » et la « surréalité »

La Surréalité est pour ainsi dire la synthèse du réel et de l’irréel, une synthèse momentanée qui prend place lorsque les deux mondes se touchent. C’est une expérience qui surgit du contact avec la réalité. « Avoir l’aigrette aux tempes » est l’expérience physique de la surréalité pour Breton. La surréalité dépend de notre inconscient, de la compagnie dans laquelle nous nous trouvons et de ce que le hasard nous fait rencontrer de la réalité.

Breton a dit « Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l’on peut ainsi dire. »

Le surréel, en revanche, est ce qui est au-delà du réel, c’est le merveilleux qui s’oppose aux contingences du quotidien.

André Breton, Nadja, Gallimard, 1964

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mai 15, 2016 By mlc

Marguerite Duras, L ‘Amant, petite fiche de lecture

Marguerite Duras, L 'AmantLa mémoire

Comme le dit Michael Scheningham, la mémoire dans L’Amant est principalement liée au désir d’une manière inextricable. D’autre part, on peut voir dans ce livre que pour Duras la mémoire photographique fait partie de la mémoire autobiographique. L’auteur va jusqu’à penser, inventer pourrait-on presque dire, une photographie qui aurait pu exister et qu’elle place au début du récit pour souligner l’importance de la traversée sur le bac. La mémoire est autoréférentielle et surtout liée à l’écriture car Duras se rappelle les souvenirs qu’elle a couchés sur le papier ce qui leur confère l’authenticité. Le fait qu’ils soient écrits est plus important que de savoir s’ils ont véritablement eu lieu. Ils sont écrits et cela leur donne une existence réelle. Pour Duras, la mémoire passe par l’écriture.

La focalisation

Duras change plusieurs fois de perspective au cours de son livre et très souvent à un moment où le lecteur s’y attend le moins. Par exemple, dans la première scène d’amour avec l’amant, elle passe du pronom personnel de la première personne au substantif (l’enfant) ce qui produit une distanciation. Le « je » est la proximité et le substantif la distance. Sans cesse un changement de focalisation a lieu quelquefois dans les moments les plus intimes, comme si la narratrice n’était pas impliquée. En fait, c’est un style qui cherche à cerner le point crucial (jouissance, désir, mort) qui sont des thèmes Durassiens.

Quelques personnages

La mendiante se retrouve dans plusieurs livres de Duras : Un barrage contre le Pacifique et dans Le Vice-Consul. Une particularité de la mendiante est sa folie, elle a un comportement déviant qui suscite une certaine angoisse. La mendiante est en quelque sorte un alter ego de la mère en cela que cette dernière est également folle et inspire à l’enfant une peur. Bien que la situation de la mendiante diffère de celle de la mère, elles vivent toutes les deux en marge de la société coloniale. La mère et la mendiante sont toutes les deux incapables de s’occuper de leurs enfants d’une manière adéquate.

Hélène Lagonnelle est le seul lien de la jeune fille avec la société blanche des tropiques, elle est la seule qui lui parle car on tient la jeune fille à l’écart. Les « demoiselles de bonne famille » ne doivent avoir aucun contact avec la « petite prostituée blanche du poste de Sadec » qu’elle est devenue. Cependant, en Hélène Lagonelle, elle a une amie qu’elle aimerait faire profiter de son expérience en voulant lui céder l’amant chinois. Elle voudrait qu’Hélène puisse faire l’amour avec le Chinois et connaître comme elle le désir. Le fait qu’elle aimerait alors regarder est moins un acte de perversité que d’amitié.

Les mythes

Si on pense à un mythe de la Bible, c’est bien sûr à Eve et Adam et le fruit défendu. La transgression de l’interdit qui est très fort dans L’Amant : l’interdit pour une jeune fille de faire l’amour avant d’être mariée, l’interdit racial, il s’agit d’une jeune fille blanche ayant des rapports sexuels avec un Chinois et aussi le fait qu’elle accepte de l’argent de cet homme ce qui donne une forte connotation de prostitution à leurs relations. On peut aussi voir le mythe d’Orphée si on garde la traversée du Mékong comme un passage initiatique, auquel cas la jeune fille est Orphée. Elle regarde de trop près le désir en la personne du Chinois, une métaphore d’Eurydice, et finalement elle doit partir seule et laisser le Chinois derrière elle, prisonnier de la ségrégation raciale ou l’enfer. Caïn et Abel pourraient représenter les deux frères. On peut aussi voir le mythe de Médéa en la mère, qui sacrifie ses enfants à son opiniâtreté. Ulysse aussi qui fait un grand voyage d’initiation, Iphigénie et Oreste. Des bribes de mythes surgissent en beaucoup d’endroits. Comme tous les mythes, on ne sait où ils commencent ni vraiment d’où ils proviennent ! En utilisant des substantifs, la mère, la jeune fille, l’enfant, le petit frère et d’autres, Marguerite Duras crée une structure mythique avec une sorte de Lolita, séductrice. Quoi qu’il en soit, Marguerite Duras écrit une histoire universelle, transcendant la réalité banale d’une situation quotidienne. C’est une sorte de circuit que l’on retrouve dans son œuvre, un circuit qui prime sur la réalité extérieure à l’écriture.

Le thème de l’eau

L’eau joue un très grand rôle dans cette structure mythique. Tout d’abord, bien sûr, la traversée du Mékong et ensuite le paquebot qui l’emmènera en France, qui vogue sur l’eau et la mousson qui éclate. A chaque passage important, le rite de passage, on retrouve l’eau. Les amants se douchent longuement comme pour se purifier du monde extérieur et se retrouver dans la pureté de l’innocence de l’amour qui les unit, même si la jeune fille n’est pas vraiment certaine de ses sentiments, ceux du Chinois sont clairs. La maison aussi qui est lavée à grande eau chaque fois que le grand frère est absent, comme pour la purifiée de sa présence par trop démoniaque.

La narratrice et sa mère

L’attitude de la narratrice envers la mère oscille entre l’amour et la haine, amour et dégoût. On retrouve dans cette relation tous les éléments d’une symbiose où l’enfant, bien qu’il y aspire, ne peut encore se détacher complètement de la figure maternelle. Un problème de communication qui se traduit par une crise du langage. Les personnages, non seulement la mère et l’enfant, mais aussi les frères se ressemblent. Cependant, la mère n’a jamais connu la jouissance, elle en est malgré tout curieuse ce qui explique aussi en partie la tension et l’ambivalence de la relation entre l’enfant et la mère.

Le pacte autobiographique

A sa parution, L’Amant a été tout de suite relié à la vie de l’auteur et Duras elle-même en a souligné l’aspect autobiographique. Au début du livre, la narratrice dit explicitement « Il faut que je vous dise encore, j’ai quinze ans et demie ». Elle écrit cette phrase dans l’oralité de l’écriture, nous faisant par la même occasion remarquer que son visage est ravagé par l’alcool. Nous savons que Marguerite Duras avait une grande attraction pour l’alcool et aussi qu’elle a vécu sa première jeunesse aux colonies. Ces faits sont pour nous une raison de regarder ce texte comme un récit autobiographique. Mais l’œuvre entière de Duras contient des renvois auto textuels, ce qui n’est pas une qualité exclusive du genre autobiographique comme le souligne Jeannette M. L. den Toonder. Elle nous dit encore que cette manière de procéder montre que Duras aspire à effacer les limites entre les genres. Il y a le moment de la découverte de la vocation qui surtout nous incite à voir le pacte autobiographique dans ce livre. Au moment où la petite fille découvre l’amour, elle sait avec certitude qu’elle veut écrire. C’est par et à travers l’écriture qu’elle découvre et cherche son identité. L’écriture en tant que telle est vitale. Elle désamorce le langage courant pour atteindre la profondeur. Duras recherche la vérité, elle veut saisir l’insaisissable, cette réalité psychique enfouie au plus profond d’elle-même.

Rite de passage

Le rite de passage ou l’initiation est une aventure mystique. Pour vivre cette aventure, cette initiation, l’isolation de l’individu est d’importance capitale. L’auteur réfère à l’isolation de l’enfant dans cette société coloniale où elle est mise au ban de la société, déjà avant d’avoir vécu son aventure amoureuse. C’est parce qu’elle est isolée qu’elle peut la vivre. Entourée par sa famille et la société, l’expériment n’aurait pu lui arriver. Dans l’initiation, ce rituel anthropologique, l’eau joue un très grand rôle tout comme dans ce récit. Principalement dans les scènes où les amants se douchent pour se purifier du monde extérieur avant de s’unir. La narratrice est curieuse du rituel, elle va de l’avant. Cette aventure fait partie de sa quête d’identité. Elle se découvre en performant cet acte sexuel puisqu’elle sait alors ce qu’elle veut. Elle analyse ses sentiments, la situation, le décor, son partenaire, son désir et elle apprend à se distancier tout à la fois. Elle ressort encore plus pure de cette expérience. La souillure de la prostitution ne l’atteint pas. Cela ne fait pas partie de son monde à elle qui est au-delà des apparences comme les voit la société coloniale. Son monde, c’est l’invisible, l’ineffable, le désir omniprésent sans que l’on puisse le décrire, ni l’écrire, ni le créer. Tout comme l’esprit comparable au morceau de sucre immergé dans une tasse d’eau. L’eau devient sucrée et le sucre a disparu. Pourtant sa présence est indéniable. Le goût de l’eau l’authentifie. L’écriture authentifie le désir chez Duras ainsi que sa quête d’identité présente sous et dans chaque parole, chaque mot, chaque lettre écrits.

L’accoutrement symbolique

Peut-être devons nous rechercher la signification de l’accoutrement dans le voyage initiatique lié à l’expérience de la jeune fille. En effet, avant son départ pour la quête initiatique le novice reçoit des habits spéciaux qui l’accompagneront dans son voyage et lui permettront d’être reconnu comme tel par ceux qu’il rencontrera. Que l’on pense aux robes blanches des mariées qui commenceront une vie nouvelle au lendemain de leurs noces ou celles des petites communiantes dans l’église catholique ! Mais aussi, par exemple, aux plumes d’oiseaux réservées à cet effet de différentiation chez les Dogons ou certains peuples de l’Amazonie. L’enfant porte un chapeau comme aucune femme n’en porte en Indochine. Duras met l’accent sur le chapeau et les chaussures. Deux objets fétichistes de l’habillement de la femme et non pas d’une jeune fille de quinze ans à l’époque. L’enfant est vouée à un sort unique, divergeant totalement de celui des autres femmes de son environnement. Ces dernières sont promises au mariage, à l’ennui, au malaise, à la mort, à l’absence de désir ou du moins de sa satisfaction, à l’abandon souvent. Un sort totalement dissemblable attend l’enfant. Son accoutrement la différentie de toutes les autres femmes. Elle est choisie. L’élue sacrifiée renaîtra purifiée, libérée des interdits et des tabous de cette société.

 Marguerite Duras, L ‘Amant, Editions de Minuit, prix Goncourt 1984

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